Se donner corps et âme pour un rêve d’enfant peut parfois conduire à une chute tellement brutale que l’on ne s’en relève pas. Heureusement, j’ai réussi à me relever. En quelque sorte. Je revois encore cette berline noire me renverser alors que je traversais la rue sur le passage piéton. Cette berline m’a brisé mes ailes. Elle a réussi à mettre fin à toute une vie dévouée juste pour un seul rêve : être une célèbre danseuse. On ne prévoit jamais les accidents. On ne veut pas y penser. Et quand cela nous arrive, on prie pour que l’on puisse s’en sortir. Sauf que l’on n’en ressort jamais sans séquelles. Et c’est cela qui est le plus dur à vivre. Surtout quand on doit admettre que l’on doit renoncer à ce pourquoi on a toujours vécu.

J’ai toujours été quelqu’un de très énergique, agité et débordant de dynamisme. J’étais si intenable à la maison, que ma mère me mit dans un cours de danse dans l’espoir de voir cette énergie, continuellement dépensée à mauvais escient, devenir une force. Et le premier cours de danse avait été une révélation pour moi. Je dansais tout. Le moderne, le jazz et le classique. Les trois genres me plaisaient. Et j’ai grandi, avec un unique but en tête. Devenir danseuse. Mais pas n’importe laquelle. Je voulais être la meilleure. La plus connue. La plus célèbre. Mes parents voyaient ce rêve comme le rêve d’une enfant. Du coup, ils n’avaient jamais pris cela très au sérieux. Et moi, du haut de mes 8 ans, je n’étais pas encore de taille à me rebeller contre mes parents.

Je suivis donc des études tout à fait normales. Et plus je grandissais, plus mon rêve était vivace et bien tenace. Cependant, je ne voulais pas faire peur à mes parents, en tentant de devenir ce que je voulais être, trop jeune. Je voulais un plan B. Quelque chose sur quoi me rattraper si jamais j’échouais. Si jamais je ne parvenais pas à entrer dans une agence reconnue. La mode me plaisait. Si la danse était ma passion, la mode était une sorte de vocation. Et c’est donc sur la voie de la mode que j’avais commencé ma route. Mes parents étaient un peu sceptiques. Mais ils sentaient tout de même que l’univers de la mode est un monde qui ne se tarira jamais et qui aura toujours besoin de nouvelles innovations. Du coup, je pense qu’ils ont eu moins de mal à accepter cette carrière.

Sauf qu’une fois mes études terminées, je ne pris pas du tout la route de la mode. Comme je l’ai dit, j’avais tout fait pour décrocher le diplôme de stylisme. Mais ce diplôme ne me servirait que de bouée de sauvetage. Et sans rien dire à mes parents, je me lançais dans ma passion. Ce fut le début de toute une aventure. Je pris des cours de danse dans tous les genres. Je m’entraînais tous les jours, toute la journée. Jusqu’à ce que je me sente enfin prête pour me lancer. Je passais les auditions à la New Generation et je fus retenue. J’avais reçu la nouvelle avec une vraie explosion de joie. Je n’y croyais pas. Je n’en revenais pas. J’étais tellement heureuse que cela me motivait d’avantage pour faire encore mieux. Je commençais ma carrière en tant que back danseuse, pour, petit à petit, n’être juste qu’une danseuse indépendante. Et enfin mon rêve commençait à devenir réalité.

Plus j’avançais dans ma carrière, plus je donnais de spectacles de danse, tant contemporains que classiques, plus je devenais célèbre. Au prix d’être constamment la proie des journalistes. La vie de célébrité n’était jamais tranquille. Mais c’était un compromis que j’avais accepté. Cependant, il y avait bien une chose que j’avais oublié. La célébrité pouvait faire plus que des envieux. On pouvait avoir des fans, mais on pouvait aussi avoir des anti-fans. On pouvait être aimé, mais on pouvait aussi être détesté. Parce que l’on donne l’impression que l’on a une vie facile, et qu’on n’a pas à se poser de question pour le lendemain. Sauf que c’est plus compliqué que cela ne paraît être. Vraiment. Mais qui pouvait le penser ? Hormis nos fans ? Et il suffit d’une seule personne pour que tout s’arrête.

Je ne sais pas si le conducteur de la berline noire avait eu l’intention ou non de mettre fin à ma carrière. Mais cet accident fut pendant longtemps une déchirure. Une blessure telle que j’eu beaucoup de mal à m’en remettre. J’eu des séquelles. Pas si grave que ça à première vue. Mais suffisamment blessantes pour qu’elles mettent fin à ce pourquoi je m’étais donné toute entière. Une blessure à la jambe avait tout fait basculer. On m’avait opéré certes. Mais malgré la rééducation, il m’était devenu plus possible de remettre ne serait-ce qu’un orteil sur une scène. Pendant des mois et des jours, j’ai refusé de l’admettre. Je réessayais des mouvements, discrètement, dans un gymnase. Pour à chaque fois me retrouver par terre avec une douleur trop forte à la jambe. Je devais renoncer. Mon corps me le disait. Mais il fallut beaucoup plus de temps à ma conscience pour l’admettre.

Je changeais alors de voie. Après des mois et des mois passés à me faire oublier, je me lançais dans la mode, grâce à mon diplôme. Et je ne sais pas trop pourquoi, mais je postulais de nouveau en tant que photographe et styliste à la New Generation. Et j’obtins un contrat. Je n’avais jamais pensé que l’agence qui m’avait donné des ailes allait m’accepter de nouveau. Et pourtant si. Je ne sais pas trop du coup, ce que je risque en y remettant les pieds. Mais une chose est certaine, ça me fait très chaud au cœur. Cette agence avait été comme ma seconde maison. Alors pouvoir y travailler de nouveau, c’est beaucoup trop beau.

Je crois que je reste encore assez obstinée. A être dans cette agence, j’ai encore envie de croire que je peux encore danser. Et il m’arrive parfois de faire quelques pas dans la salle d’entraînement aux heures tardives, au risque de me retrouver encore une fois par terre. Je crois que ce qui m’a le plus aidé dans tout ça, ce fut le soutien de mes parents. Même s’ils n’ont jamais vraiment approuvés ma carrière de danseuse, ils m’avaient toujours encouragée. Et quand ils ont su pour mon accident et pour les conséquences qu’il entraînait, ils ont toujours été à mes côtés pour ne pas me laisser baisser les bras. Sans eux, je crois que jamais je n’aurais pris la chose sous un autre angle et tenté de me reconvertir en utilisant mon plan B.