L'obscurité. Sa plus grande crainte quand il était petit. Il se souvenait des hurlements qu'il poussait du haut de ses six ans pour que sa mère vienne le consoler des formes qu'il apercevait du fond de sa couette. Le noir, source d'inquiétude pour le petit bout qu'il était. Ce ne fut que bien plus tard, lorsqu'il atteignit les portes du collège, que cette phobie du noir s'estompa. Cependant, il avait pris l'habitude de toujours dormir la porte de sa chambre ouverte et une petite veilleuse faiblement allumée sur sa table jusqu'à ce que ses parents passent derrière pour l'éteindre, évitant ainsi de gaspiller de l'énergie. Depuis qu'il vivait avec Sae Ra, Hee Sun devait avouer que ses manies, il les avait un peu oubliées. Ressentir une chaleur à côté de lui le rassurait, surtout quand il s'agissait de sa fiancée. Ses bras venaient inconsciemment enlacer le corps de Sae Ra dans son sommeil et le matin c'était presque sur elle qu'il dormait. L'amour se manifestait de toutes les manières. Cela faisait partie des choses du quotidien, et il n'était pas étonnant que le jeune homme y prenne un certain plaisir. Il ne s'était jamais senti aussi vivant depuis qu'il habitait avec Sae Ra. Une cohabition un peu tôt aux yeux des parents du jeune couple, mais pour eux c'était la meilleure décision qu'ils n'aient jamais prise. Ils avaient besoin d'indépendance, de se couper un peu du cocon familial afin de bâtir le leur. Cela aurait pu se réaliser si Hee Sun n'avait pas accepté cette affaire.

L'obscurité. Il n'avait jamais eu aussi peur d'elle avant. Aujourd'hui aveugle, c'était dans le noir qu'il passerait le reste de sa vie. Loin des plaisirs de contemplation. La dernière image qu'il eut du monde fut le visage déformé de son agresseur qui avait utilisé toute sa force pour le frapper violemment avec ce vase en verre, héritage de famille depuis des générations. Ses aïeuls l'avaient puni pour son imprudence. Et ils l'avaient puni en lui ôtant la vue et son enfant. La dernière chose dont il se souvint avant sa plongée dans le coma artificiel fut les bruits sourds de Sae Ra qui semblait pleurer, puis la sirène de l'ambulance retentissant en bas de l'immeuble. Après, plus rien. Il avait été coupé du monde pendant deux mois. A son réveil, le noir. Des bruits retentissaient dans la pièce. Il savait qu'il était à l'hôpital. Il aurait voulu ouvrir les yeux mais deux cotons de gaze et un bandage fermement noué autour de son crâne l'en empêchèrent. Et puis la douleur. La vive douleur qui l'avait envahi, le brûlant à vif comme s'il prenait un bain de flammes. A cet instant il savait. Il savait qu'il avait perdu ses yeux. Ce vase aura bien fait son affaire au final. Alors il reprit peur du noir. Quand Sae Ra n'était pas près de lui la nuit, il se sentait seul, si seul dans cet univers monochrome. Il n'avait plus confiance en lui. Il avait l'impression que les ténèbres l'avaient envahi. C'était un tout nouveau mode de vie, l'inconnu. Un sentier encore parsemé de mauvaises herbes. Tout ce qu'il fallait faire, c'était de débrouissailler le chemin.

L'obscurité, c'était comme une bête à dompter. Une fois qu'on avait vaincu sa peur du noir, il suffisait de s'y aventurer à petits pas, progressivement. Les petits pas faisaient les grandes marches. L'aventure de Hee Sun était encore longue et difficile, mais il n'avait plus peur. C'était fini. Parfois, il ressentait comme un pincement au cœur quand Sae Ra devait partir au travail. Ne plus l'avoir près de lui et il perdait confiance en lui. Mais très vite, les aboiements de Hevlaska le ramenaient à la réalité. Il n'était jamais seul. Après tout, sa fiancée lui avait offert cette chienne pour qu'il prenne de l'assurance, qu'il cesse de rester dans l'ombre de Sae Ra. Il ressentait ce besoin d'indépendance. La liberté, il pouvait la toucher du bout des doigts. Alors la journée, quand Sae Ra était à l'hôpital, il prenait son courage à deux mains et se laissait guider en ville par Hevlaska, se tenant ferment à son harnais. Aujourd'hui, il avait fini au parc et avait profité des bruits de la nature. Certes, il ne pouvait plus voir, mais ses oreilles étaient s'étaient affinées, il percevait les sons comme jamais auparavant. Il appréciait les oiseaux piailler, les arbres danser sous le vent et les feuilles tomber. Ce genre d'escapades, il le faisait de plus en plus souvent à mesure qu'il s'habituait à sa cécité. Et une fois rentré à la maison, c'était toujours guidé de sa chienne qui s'accordait quelques heures de repos.

Ce soir, après sa sieste bien mérité, Hee Sun s'était installé sur son fauteuil, Hevlaska couchée à ses pieds. Dans ce silence de roi, il restait calme. Il pouvait entendre la respiration bruyante de sa chienne et l'horloge du salon tourner. Il entendit des bruits de pas dans le couloir. Il savait que c'était Sae Ra qui rentrait du travail. Sa tête se tourna vers la provenance des bruits. La clé de la maison s'enfonça dans la serrure. Hevlaska se mit à aboyer avant de quitter les pieds de son maître pour accueillir dignement Sae Ra. Hee Sun ramena ses mains sur ses cuisses avant de sentir les bras de sa fiancée autour de son cou, suivis de ses lèvres sur sa joue. « Coucou toi ! Comment tu vas aujourd'hui ? Tu es sorti un peu ? J'ai commandé les pizzas sur le chemin, j'ai pris comme d'habitude. » Puis après un baiser sur la bouche cette fois-ci, Sae Ra partit se changer dans la chambre. Hee Sun tourna la tête vers le bruit des pas de sa fiancée qui s'éloignait de lui. Il ne décolla pas ses fesses du fauteuil, confortablement installé dessus. Tout en l'attendant, il délia ses lèvres. « Je suis allé au parc à côté de la résidence. Je sais, ce n'est pas très loin... » Hevlaska vint se coucher à ses pieds de nouveau alors que Sae Ra s'était installée à ses côtés. Il se sentait entouré. Un léger sourire vint éclairer son visage. Sentir les mains de sa fiancée dans les siennes lui faisait beaucoup de bien. Il pouvait profiter de la douceur de ses paumes durant cet échange. Oh, il lui avait manqué ? C'était réciproque. Lentement, il fit remonter ses mains le long des bras de Sae Ra pour la caresser, reprenant connaissance avec ce corps qu'il avait exploré de nombreuses fois. Il se pencha sur sa fiancée. Une fois ses mains remontées sur ses épaules, il la tira tout doucement pour essayer de l'enlacer sans lui faire de mal. « Ton absence est comme un poignard dans mon cœur... Mais je sais que tu ne peux pas tout le temps rester avec moi, tu as ton travail à l'hôpital... » A vrai, Sae Ra était un peu le gagne-pain à la maison. Suite à la retraite forcée de Hee Sun, il avait certes une pension assez conséquente que l'Etat lui donnait suite aux circonstances de son départ du commissariat, mais il ne faisait absolument rien pour la mériter. Il était payé pour combattre l'obscurité en fait.

« Tu as reçu les résultats de mes examens aujourd'hui ? Ton collègue ophtamologiste avait dit que ce serait pour cette semaine... » Malheureusement, suite à la perte de sa vue récente, il devait passer des examens tous les mois, une plaie pour Hee Sun. Il ne supportait plus l'odeur et les bruits des hôpitaux. Il ne savait pas comment Sae Ra faisait pour travailler là-bas. Lui préférait l'odeur de tabac régnant au commissariat du temps où il y travaillait. Selon Kang Matthew, un collègue policier qui avait pris son enquête à sa place après la prise d'otage, la même odeur était présente. Cela le fit sourire intérieurement. Son travail lui manquait. Mais il avait fait une croix dessus depuis près d'un an. Il fallait qu'il se concentre sur sa nouvelle vie. L'obscurité, un chemin sans lumière. A lui de la trouver. « Tu n'as pas eu une journée trop difficile avec les patients aujourd'hui ? »

Hee Sun pouvait concevoir le fait que sa fiancée lui laissait beaucoup de temps libre par principe. De toute façon, Sae Ra avait bien souvent raison : Hee Sun n'aurait pas aimé avoir une sangsue à la place d'une femme. Bon, c'était peut-être excessif, mais il craignait de faire une overdose de sa présence alors il préférait ce rythme de vie à un autre utopique et désillusoire. Il ne quittait pas son canapé, sentant malgré tout que sa promise se déplaçait tout le temps. Elle ne tenait jamais en place ! Une vraie pile électrique. Cette pensée le fit sourire intérieurement. Sae Ra lui mettait du baume au cœur. Et en bougeant autant, elle compensait le peu d'action que faisait Hee Sun quand il était seul dans cet appartement. La vue lui étant soustraite, il marchait à petits pas, accompagné de sa fidèle Hevlaska. Des fois, il lui arrivait de paniquer en perdant le harnais de sa chienne, alors il prenait une grande respiration et tâtait de ses mains expertes les alentours. Heureusement aujourd'hui il n'eut pas ce petit souci. Il avait fait tranquillement le tour du pâté de maisons. Son véritable challenge avait été...de fermer la porte de l'appartement à clé. La serrure était vraiment petite et pour un aveugle, enfoncer la clé au bon endroit relevait du défi. A force de tourner autour, il avait bien fini par la trouver cette fichue serrure. Hee Sun était fréquemment confronté à ce genre de futilités, et il se remettait en question trop souvent. En l'absence de Sae Ra, il avait tendance à broyer du noir, et dès qu'elle franchissait le pas de l'appartement le soir, sa mauvaise humeur se dissipait pour laisser place à un optimisme qu'il ne se connaissait pas par le passé.

Une fois encore, Sae Ra avait oublié les examens de Hee Sun. Celui-ci ne répondit rien, il se contenta de secouer la tête pour lui indiquer qu'il ne lui en voulait pas. Sae Ra était assez tête en l'air, il avait l'habitude depuis le temps qu'ils sortaient ensemble. Et puis le métier d'infirmière était assez difficile quand on y pensait. S'occuper de patients plus ou moins agaçants les traitant comme des esclaves... Hee Sun n'aimait pas trop que Sae Ra se laisse faire comme ça. Mais sa fiancée aimait son travail et c'était tout ce qui lui importait. Elle gagnait bien sa vie, elle était heureuse. Et tout ce que souhaitait Hee Sun pour Sae Ra, c'était son bonheur. Il avait déjà eu une discussion avec elle à ce sujet. Le bonheur. C'était si facile et difficile à la fois de l'acquérir. Il y a à peine un an, rien ne pouvait les séparer de ce bonheur qu'ils avaient construits ensemble. Aujourd'hui, ils devaient reproduire ce bonheur incendié par la malchance. Petit à petit, progressivement, ils rebâtissaient leur château fort. Même avec ce handicap, Hee Sun mettait beaucoup de son sien. Des fois, il se sentait faible face au cours du temps, mais ce n'était sans compter sur la persévérance sans faille de sa fiancée.
La sonnerie retentit dans le salon. Hee Sun leva vivement la tête vers la provenance du bruit puis il laissa Sae Ra aller ouvrir à ce qu'elle pensait être le livreur de pizzas. Malheureusement pour elle surtout, il ne s'agissait que d'un voisin ivre s'étant trompé de palier. Hee Sun écouta attentivement la conversation, retenant Hevlaska d'aboyer après l'avoir sentie se redresser, les oreilles bien pointées. Il redoutait que l'homme montre un peu de résistance face à Sae Ra, mais apparemment tout semblait bien se passer. Il entendit sa compagne refermer la porte pour se reblottir contre Hee Sun qui laissa de nouveau ces mains parcourir les courbes douces de Sae Ra. Rien ne lui semblait plus précieux que le toucher salvateur de son amour. Amour qui semblait trépigner d'impatience pour ses pizzas. Il était vrai que Hee Sun commençait à avoir faim, et il tenait à suivre ce petit rituel du Vendredi soir. Pizza party, il n'y avait rien de mieux pour reconstruire ce bonheur perdu.

« Quand je me réveille le matin et que je te cherche, je touche toujours une place vide à côté de moi. » confia-t-il par la suite à Sae Ra. Il ne pouvait pas garder ses états d'âme pour lui. Certes, cela faisait presque un an qu'il avait été privé de la vue, au départ c'était difficile pour lui de s'habituer, mais aujourd'hui encore il avait peur. De quoi ? Probablement de la solitude. « Tu ne travailles pas ce week-end j'espère ? J'aimerais flâner au lit avec toi. Comme avant pendant nos jours de congé. » S'accrocher aux habitudes, c'était ce qu'il arrivait le mieux à faire pour ne pas craindre la surprise et l'étonnement. Il préférait répéter ses peurs à sa fiancée, quitte à l'agacer avec, plutôt que de les garder dans son cœur. C'était une thérapie qu'il s'efforçait de pratiquer, dans le souci extrême de préserver son couple. Car avant, il avait la phobie monstre que Sae Ra le quitte suite à cet incident. Après tout, c'était de la faute de Hee Sun si leur vie avait basculé. Ce dossier qu'il traitait avec tant d'acharnement leur avait coûté gros. Tellement gros. Par moments, Hee Sun revenait sur ce tragique événement et il ne voyait que lui en unique responsable. Ca, il l'avait aussi avoué à Sae Ra, et elle l'avait bien réprimandé comme il le fallait. Alors désormais, c'était dans le souci extrême de persévérer, d'aller de l'avant, que Hee Sun prenait cette soirée sur le ton de la rigolade. Et la sonnerie retentit de nouveau dans le salon. Cette fois-ci, il ne put retenir Hevlaska d'aboyer, et bien vite Hee Sun sentit la chaleur de Sae Ra le quitter. Il était persuadé que maintenant il s'agissait du livreur de pizzas. Il ne put s'empêcher de rire légèrement. « Si c'est le livreur, ne le dévore pas hein ! Ventre sur pattes. »

HRP: Inutile de dire que je suis extrêmement désolée pour le retard ToT
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