Mon histoire commence comme un joli conte de fées que toutes les petites filles aimeraient entendre. J'avais tout ce dont pouvait rêver une petite fille à la naissance : deux parents aimants, soudés, et émerveillés devant le bébé qui venait de naître. J'avais la chance d'être belle dès le premier jour de mon existence, ravissant alors tous les adultes qui me voyaient et qui louaient mes géniteurs d'avoir une enfant si jolie. J'étais l'enfant rêvée, belle, souriante et sage comme une image. J'ai peu pleuré à ma naissance et j'ai très vite appris à sourire, chose plutôt utile en vérité quand on y pense. Je ne manquais de rien. Poupées, robes de princesse, chaussures par milliers – ou presque - , mes plats préférés dès que je les demandais, des bijoux comme on en voyait peu sur les petites filles, et encore beaucoup d'autres choses. Je n'étais cependant pas capricieuse, mais je ne peux pas nier que j'ai été un peu pourrie gâtée quand même. C'était un confort que j'appréciais et qui me rassurait plus que toute autre chose. Du moins jusqu'à mes cinq ans. Si mes parents se sont bien occupés de moi jusque là, ils ont dû engager une gouvernante pour m'élever, tout simplement parce qu'ils n'en avaient plus le temps, trop occupés par leur travail. Ma mère était un mannequin de renom et mon père un homme d'affaires très important. Si leurs revenus me permettaient de vivre aisément, il fallait néanmoins qu'ils aillent au travail pour les gagner. Même avec cela en tête, je ne peux pas penser qu'il en eût été autrement si, par un quelconque miracle, j'avais compris cela à l'époque. En effet, leur absence eut une répercussion considérable sur la petite fille sage que j'étais : je me sentais atrocement seule et une gouvernante n'était pas une mère et celle-ci n'essayait pas d'être complice avec moi. Alors je me créai une complicité avec quelqu'un d'autre, quelqu'un que j'étais la seule à pouvoir voir : je me suis crée un ami imaginaire ou il m'est apparu, je ne sais pas trop. Je ne sais plus comment c'est arrivé, c'est devenu si naturel avec le temps pour moi de communiquer avec lui. C'était un petit garçon, seul comme moi avec qui je pouvais parler de tout et de rien. Sa présence m'aida à surmonter cette solitude pesante et oppressante, parce que dès qu'il était là, je ne me sentais plus seule du tout.

Mais si la petite fille idéale commence à voir des choses étranges qu'elle est la seule à voir, alors elle ne peut plus être une petite princesse. Voilà ce que mes parents ont certainement dû penser lorsque la gouvernante leur montra combien j'étais étrange. Je pense que jamais je n'ai vu ma mère aussi épouvantée qu'après m'être rendue compte qu'elle venait de me voir parler à Woo Hyun – c'était son nom – et je n'ai jamais vu mon père aussi contrarié et énervé. Il a tout de suite demandé à la gouvernante de sortir et a refermé la porte de ma chambre à clef, sans un mot. J'ai tout de suite eu peur : ma mère est venue s'asseoir sur mon lit à côté de moi et a pris mon visage entre ses mains : « Dis-moi que ce n'est pas vrai Na Yung. Tu joues n'est-ce pas ? C'est un jeu, chéri voilà tout. ». A son plus grand effroi, j'ai secoué la tête – un enfant n'aime pas qu'on pense ses amis inexistants – et j'ai crié haut et fort qu'il était réel, qu'il était là juste à côté de moi et qu'elle pouvait sûrement le voir elle aussi. Elle a continué de pleurer, encore et encore, en me serrant contre elle comme si on allait m'arracher à elle. C'est bel et bien ce qui se passa. Une enfant « anormale » on ne peut pas la garder avec soi dans la bonne société, ça fait tâche forcément. La fierté de mon père l'a emporté sur le sentiment maternel bien réel que me portait Maman. On m'a emmenée dans l'endroit le plus terrifiant qui puisse exister sur Terre pour un enfant : un hôpital psychiatrique. Il était isolé, dans la campagne, et avec le recul, je me demande même s'il était reconnu par l'État. Il n'avait rien d'un hôpital pour les enfants, il n'avait rien d'un endroit où on essayait de soigner les gens. On les cachait juste aux yeux de la société et on faisait en sorte qu'ils ne soient pas un danger. Cette épreuve m'a brisée alors que je n'avais que dix ans : étais-je une anomalie de la nature ? Mes parents avaient-ils à ce point honte de moi ? Étais-je un danger pour la sécurité des autres ? Je me suis constamment posée ces questions parce que je n'arrivais pas à concevoir que mes parents m'aient abandonnée sans raison valable. Je ne voulais pas l'admettre. Woo Hyun est resté avec moi, je continuais à lui parler, je continuais à le regarder, le regard suppliant lorsqu'on me faisait l'injection quotidienne, dont je n'ai jamais compris l'utilité. Les conditions de vie étaient atroces, c'était à peine si on avait accès aux sanitaires et s'ils daignaient nous laisser prendre une douche. Nous étions plusieurs enfants comme cela et je pouvais déjà deviner lesquels étaient là depuis longtemps. Ils avaient déjà le visage vieilli, presque semblable à celui d'un cadavre, les filles ressemblaient à des poupées qu'on avait maltraitées et les garçons à des pantins désarticulés. Certains avaient des membres en moins aussi. C'est resté l'endroit le plus terrifiant que j'ai jamais connu et encore aujourd'hui j'en garde des séquelles considérables.

Je suis restée dans cet endroit épouvantable jusqu'à mes quinze ans. Cinq ans de pure souffrance et de désespoir. Entre-temps, Woo Hyun m'avait quittée. Un jour, j'avais douze ans, je ne l'ai plus vu, il s'était envolé. J'avais beau l'appeler de tout mon cœur, il n'était pas revenu : il était parti pour toujours. Je me souviens de ce jour, j'ai été malmenée parce qu'on croyait que j'étais devenue folle à lier – on m'a d'ailleurs attachée dans ma cellule alors pour plus de sécurité qu'ils disaient. Je ne sais pas d'où venait ce personnel tout droit sorti de l'Enfer mais par sa faute, j'ai vécu les pires années de mon existence. Je me suis également mise à détester mes parents, parce que j'avais compris, à force de parler avec les autres, que je n'avais aucune raison d'être et eux non plus d'ailleurs. Était-ce valable d'envoyer son enfant dans un tel endroit parce qu'il a dû être amputé suite à un grave accident ? Ça me semblait être tout ce qu'il y avait de plus injuste et j'ai commencé à nourrir un sérieux ressentiment contre la société qui m'avait tout pris, mon enfance, ma joie, ma beauté aussi et mon meilleur ami qui s'est enfui, trop ému par cette atrocité peut-être. Je me détruisais au fil des jours, croyant ne jamais sortir de ce fichu endroit maudit. Et pourtant, un jour, on est finalement venus nous sauver. Il paraît que c'est une mère, honteuse de son acte, qui est allée apprendre aux policiers l'existence d'un tel endroit. Ils sont arrivés un jeudi matin, j'étais encore en train de pleurer, essayant de défaire mes liens quand j'ai vu un homme vêtu de bleu entrer dans le couloir, pétrifié par ce qu'il voyait. Ses collègues firent de même et je pensais que c'étaient de nouveaux « docteurs » qui allaient s'occuper de nous. J'ai alors entendu l'un d'eux donner l'ordre de prévenir l'assistance sociale et de prévoir des véhicules pour nous amener je-ne-sais-où. L'une des policières s'est approchée de ma cellule, le regard brillant, au bord des larmes et compatissant aussi. J'ai reculé par réflexe, apeurée. Elle m'a dit de ne pas avoir peur, que c'était fini et qu'elle allait s'occuper de me tirer de là, que tout irait bien maintenant. J'en ai pleuré : la souffrance touchait à sa fin, j'y avais tellement peu cru et j'avais tellement oublié à quel point il n'était pas normal qu'on se trouve dans cet endroit. Plus tard, ils sont arrivés plus nombreux et ils nous ont libéré et ils ont arrêté tout le personnel médical, qui doit toujours être derrière les barreaux à l'heure qu'il est. Soo Ah m'a même convaincue d'aller témoigner contre eux pour que la Justice prenne conscience des horreurs qu'ils nous ont fait subir.

Soo Ah, c'est la policière qui a été touchée par ma détresse dès qu'elle m'a vue. Comme on ne connaissait pas mon nom de famille, il était impossible de retrouver mes parents et les docteurs avaient brûlé nos dossiers avant d'être attrapés. C'est donc elle qui m'a recueillie chez elle et est devenue depuis ce moment ma mère adoptive qui s'occupe toujours de moi. Elle savait depuis le départ que j'allais garder des séquelles de cette aventure mais elle a toujours été auprès de moi, toujours à l'écoute quand j'avais peur et toujours présente quand je me réveillais en sursaut à cause d'un cauchemar épouvantable. Elle n'avait que vingt-sept ans quand elle m'a adoptée mais elle a été une mère parfaite, irréprochable et j'ai vu en elle un modèle à suivre. Modèle que je n'ai pourtant pas suivi. J'ai trop été dégoûtée par la société et par mes compatriotes pour redevenir la gentille fille que j'avais été. Mon cœur s'était assombri et je garde toujours cette profonde rancœur au fond de moi. Cela ne m'empêche pas de me faire des amis dès ma première année au lycée, mais cela m'incite aussi à me servir d'eux comme on s'est servi de moi de la plus atroce façon qui soit. Je m'irritai aussitôt que quelqu'un parlait d'une expérience incroyable et effrayante pour mettre en valeur son courage. Il n'y a pas pire que ce que j'avais vécu et le courage ne faisait plus partie de ce monde quand on était plongé là-dedans. Mais j'en étais devenue plus courageuse, plus déterminée pour reprendre ma revanche sur le monde. Je ne voulais pas les laisser gagner : j'ai travaillé dur pour rattraper toutes les lacunes scolaires qui me manquaient et aussi pour que mon rêve devienne réalité. Puisqu'on avait voulu m'enfermer dans le noir, je voulus briller au grand jour, être connue de tous. Je voulais devenir une idole. J'ai travaillé dur pour apprendre à bien danser, j'ai commencé à chanter et Soo Ah m'a aidée à redevenir aussi jolie qu'avant. Une bonne hygiène ça aide bien entendu, manger correctement aussi et le sport entretenait ma forme. Soo Ah faisait en sorte que j'aie de jolis vêtements, de jolis accessoires pour retrouver une certaine estime de moi-même et que je n'ai plus en tête l'image de la fille complètement anéantie. Elle en a peut-être trop fait car j'ai commencé à nourrir un certain narcissisme, même si je pense que ce n'est en rien sa faute. Être si jolie quand je me suis connue si laide y est pour beaucoup en fait.

Mon rêve s'est réalisé puisque j'ai été prise à la New Generation à l'âge de dix-sept ans, au grand bonheur de ma mère adoptive. J'ai encore dû passer des années à m'entraîner, encore et encore, toujours plus déterminée et motivée par ce que je voulais réaliser. On ne m'arrêtera pas, voilà ce que je me disais. Je suis passée de trainee à rookie en attente du grand succès qui me révélera au public. Je ne veux pas évincer les autres membres de mon groupe, nous allons briller ensemble bien sûr mais ce sera quand ma revanche personnelle. La petite fille fragile a bien grandi et elle est plus que volontaire pour reprendre en main son destin !