Premier souvenir : « pourquoi oppa ne sourit pas là ? » « Parce qu’il était jaloux » « Pourquoi il était jaloux ? » « parce que t’étais toute chou ! » « Mais non mais c’pas logique çaaa ! »

A cette époque, j’avais 4 ans. J’aimais regarder dans les albums photos de la famille avec ma mère. Mais sur aucune des photos de mon enfance, il ne souriait. Et puis il était méchant avec moi. Il me détestait et me le faisait savoir. Il ne m’aimait pas. Mais moi je voulais être gentille avec lui. Sauf que l’on finissait toujours par s’en foutre plein la tête. Il me piquait ma bouffe à table, on courrait partout dans la maison parce qu’il m’avait volé ma peluche. En bref on était de vrais petits diables et puis surtout j’étais jalouse de son appareil photo. Il le bichonnait lui. Il prenait soin de lui. Il le regardait avec amour. Et en plus, il ne me prenait jamais en photo. Il prenait tout sauf moi. Comme s’il ne voulait pas du tout marquer ma présence dans son esprit. Enfin… C’était comme ça que je le prenais à l’époque !

D’ailleurs à l’époque, j’avais les cheveux longs et je portais de jolies robes. J’avais tout d’une vraie petite fille. J’aimais les poupées, je faisais de la corde à sauter et j’adorais chanter aussi. Quitte à casser les oreilles de mon frère.

Deuxième souvenir : une dispute, un choc, des flammes et la fin de tout. Ou presque.

On allait à un baptême. De je ne sais plus qui d’ailleurs. Mais à ce moment-là, j’avais 5 ans. J’avais toujours tout d’une petite fille modèle. D’ailleurs je venais de sauter une classe. Alors les parents étaient juste trop fier de moi ! Et puis, m’ennuyant pendant la soirée, je voulais que mon frère joue un peu avec moi et sois gentil pour une fois. Mais non. Tout ce qu’il voulait c’était prendre des photos. Alors au lieu de vouloir péter son appareil photo, je me proposais de faire aussi des photos. Sauf que monsieur n’avait pas eu envie de me le prêter. Et refusais même que je le touche. J’étais alors partie pleurer dans les jupes de maman. Pourquoi il ne m’aimait pas ? Moi en tout cas, je détestais son appareil photo…

… Et je n’avais pas manqué de le lui faire savoir. Dans la voiture, ce fut pire que d’habitude. Maman essayait de nous calmer, mais on ne l’écoutait pas. Je voulais juste qu’il me prête l’appareil, que je vois les photos. Je voulais voir ! Mais il refusait obstinément de me les montrer. Et puis ça dérapa. Tout dérapa. La dispute s’était aggravée, j’avais balancé son appareil par la fenêtre ivre de colère et prête à pleurer de jalousie. Junnie pêta une crise de larme. Ce fut papa alors qui se tourna vers nous. Pour nous calmer. Mais ce fut maman qui se mit à crier.

La voiture avait finit dans la rivière. Junnie et moi étions les seuls survivants. J’ai pleuré. Enormément. Et pour la première fois, mon frère me serrait dans ses petits bras. Ma haine pour les appareils fut définitive.

Troisième souvenir : « Je l’aime pas ! C’est tout !» lança avec colère, une petite fille.

Suite à l’accident, mon frère et moi passâmes du temps à l’hôpital. On n’avait aucune séquelle mais il nous fallut tout de même rester là-bas quelques jours histoire de faire des examens et de nous remettre du choc émotionnel. J’avais changé. Je n’étais plus la même petite fille. Je tremblais dans mon lit la nuit. J’avais toujours les images de l’accident qui me revenaient tout le temps et puis… Surtout, je m’en voulais. Terriblement. Je culpabilisais énormément. Dire que ce fut cet accident qui me rapprocha de mon frère. Même ça, ça me faisait de la peine. Et pourtant. J’avais cette impression qu’il ne supportait toujours pas ma présence. Tout ce qu’il faisait, c’était aller voir cette fille dans la chambre d’en face. Je le voyais bien. Avec moi, il souriait peu. Mais avec elle, il avait un sourire… Ce fameux sourire qui m’avait fait tant haïr les appareils photos. Et puis quand il m’avait parlé de cette fille, je ne m’étais pas du tout retenue de lui faire savoir que je ne l’aimais pas, avant de partir hors de la chambre pour aller jouer toute seule dehors.

Mon frère était tout ce qu’il me restait. Et j’avais peur qu’il ne m’échappe lui aussi. Que cette fille me le prenne à jamais. Déjà que la nuit je devais attendre qu’il dorme profondément pour oser me glisser dans ses draps parce que j’avais décidément trop peur dans le noir… Si en plus il devait disparaître lui aussi…. Cela devenait beaucoup trop effrayant.

Quatrième souvenir : « Gomawooo oppa !! Saranheyoo !! » Disait une petite fille à un garçon.

Mon anniversaire. A l’orphelinat. Autant vous dire que j’étais ravie que pour la première fois de ma vie, mon frère me chante une chanson en l’honneur de mon anniversaire. Je souriais. Mais c’était du fake. Parce qu’au plus profond de moi, au lieu de le fêter là, j’aurais préféré le fêter à la maison avec Umma, Appa et Junnie. Pas avec les autres enfants de l’orphelinat. Et vous savez quoi ? Serenity étais dans le lot. Mais elle, je l’ignorais. Je ne lui prêtais pas attention. Tout commença d’ailleurs à changer entre lui et moi. Je m’accrochais à lui comme je pouvais et enfin, il avait daigné m’attraper la main pour me protéger, me prendre sous son aile. Je me sentais moins lourde de remords. Je sentais enfin que j’avais une épaule sur laquelle pleurer. Et ce jour-là, il me promis qu’il nous sortirait d’ici, qu’on vivrait ensemble, qu’il s’occuperait de moi, et qu’il fallait juste que je continue à croire en lui.

Il avait donc compris. Il avait donc compris que depuis l’accident je m’accrochais à lui pour ne pas perdre pied et finir dans l’obscurité. Il était ma lumière vous voyez ? Ma force aussi. Il me donnait de l’espoir. Et il m’en donna encore plus en me faisant une telle promesse. Et pour la première fois depuis l’accident, je lui avais souris de manière sincère. Mon frère… Il ne m’appréciait peut être pas vraiment mais moi si.

Plus je grandissais, plus je changeais. L’extravertie était devenue introvertie. Et je voulais oublié la fille gamine qui avait fait n’importe quoi dans la voiture. Ce fut à l’orphelinat que je m’étais coupé mes cheveux. Toute seule. Dans la salle de bain. Parce que je voulais punir cette fille de 5 ans qui avait causé à tout le monde le sort qu’il connaissait à présent. J’avais coupé tout. Très mal. La dame de l’orphelinat n’avait pas du tout apprécié. Et moi je ne lui avais donné aucune explication. Je m’étais contentée de ne rien dire et de la laisser rattraper comme elle pouvait le désastre que j’avais fait de mes propres mains. J’eus ma première coupe garçonne à ce moment-là.

Mais il y eut encore cette Serenity pas loin… Elle n’était pas à l’hôpital, mais que voulez vous ? Je n’arrivais à dormir que lorsque mon frère n’était pas loin. Sauf qu’il avait tendance à s’échapper la nuit ou même dans la journée pour aller la voir. Mes peurs ressurgissaient aussitôt. Qu’avait-elle donc de plus que moi ? Et la promesse ? Je ne manquais jamais de faire la grimace dès qu’il me parlait d’elle. Parfois même je m’en allais quand il commençait à m’en parler, feignant d’avoir un truc important à faire. Et puis…Un jour je l’avais vu revenir triste. Elle lui avait qu’elle avait déjà un petit ami. J’étais happy en moi-même parce que ça signifiait que mon frère était maintenant tout à moi.

Cinquième souvenir : « Yah ! ANDWE ! Coupe cet appareil !!! YAH !» Hurla une adolescente. Un clic. « Aaaaaish… Jjinja… »

Encore mon anniversaire. Bien plus récent puisqu’il s’agit de mes 15 ans. Mon frangin avait tenu sa promesse. Il était devenu photographe professionnel, et on vivait maintenant dans un appartement lui et moi. Rien que tous les deux. J’étais fière de mon frère. Parce qu’il se battait tous les jours pour nous faire vivre heureux. Mais je ne parvenais toujours pas à sourire. Malgré tout. Parce qu’il n’a jamais pu savoir combien je culpabilisais encore. Et puis il avait retrouvé un appareil photo. Et en plus maintenant, il aimait les crayons. M’enfin, maintenant, je n’allais pas faire une crise de jalousie parce qu’il s’était trouvé une passion. Il s’occupait de moi maintenant. Et ne me faisait plus des histoires pour des trucs inutiles. Et y’avait pas d’autres meuf dans la maison.

Moi, j’avais quitté définitivement mon caractère de fille. J’étais devenu garçonne. J’avais la coupe courte et je m’habillais comme un garçon. Autant vous dire qu’en plus, je n’avais pas encore pris de vraies formes bien féminines donc on me prenait facilement pour un garçon. Je m’étais endurcie. J’étais devenue plus mature et plus forte psychologiquement et physiquement. Et puis niveau études j’m’en sortais toujours aussi bien. Par contre, je n’étais plus cette petite fille enjouée du passé. Je souriais rarement et j’avais du mal à m’ouvrir correctement. Pire, parler de mes problèmes à mon frère n’était pas du tout ce que j’arrivais à faire.

Mah en tout cas, maintenant, je sentais qu’on allait aller de l’avant. Hors de question donc que j’échoue dans n’importe quelle chose que j’entreprends.