Je m’baladais sur l’avenu – enfin, dans le couloir –, le cœur ouvert à l’inconnu, j’avais envie de dire « bonjour » à n’importe qui… Blah blah blah. En bons francophones que vous êtes, je suppose que vous devez connaître la suite. Tout ça pour dire que c’est visiblement une bonne journée qui s’annonce. C’est dans le tintamarre habituel que j’ai quitté le dortoir du groupe, laissant derrière moi un bazar monstre, et de nouvelles questions sur une certaine collection de Playboys qui ne m’appartient pas. Mais c’est avec un brio certain que j’ai une nouvelle fois esquivé la conversation, prétextant ne voulant pas être en retard dans mon travail. Mensonge, qui n’en est pas vraiment un. Dans un sens, c’en est car je ne sais pas à quelle heure ma journée commence ; j’attends que mon planning soit finalisé, ce qui n’était pas le cas hier. Mais dans un sens, cette excuse pour fuir est également tout à fait véridique ; je n’aime pas être à la bourre dans mon travail. Et quoi que l’on puisse dire, je suis très consciencieux quand je me donne la peine d’être sérieux. Ce qui n’est pas si rare, quand on y pense bien. Tout du moins, dans le domaine professionnel. Je ne m’attarderai pas sur le personnel, étant donné que mon sérieux y est… Inexistant, tout à fait. Mais ne faisons pas polémique, je ne suis pas là pour vous dévoiler tous les moindres recoins de ma personnalité – grand bien vous fasse, je suppose.

Donc je suis là, dans le hall principal de l’agence, sorti des dortoirs, à marcher d’un pied ferme en direction de l’espace management ou je dois aller chercher mon planning journalier. J’y suis en peu de temps, et c’est sans trop me faire attendre qu’on me tend un tas de papier, avec en en-tête un tableau désignant mes activités et mes horaires de la journée… Qui une fois encore est bien chargée ! J’ai la sensation d’être un lycéen qui regarde son emploi du temps… A la différence que je suis emballé à l’idée de cette journée. Qu’on ne vienne pas me dire que je n’aime pas mon travail et qu’il ne me tient pas à cœur. Dans mon parcours scolaire, la donne n’était pas la même… Et mon bulletin rempli d’appréciations telles que « élève trop dissipé et turbulent » (la version classe de cancre, en fait) en est la preuve même. Bref, je me penche un peu plus sur cet amas de paperasse, et constate que vient en premier une rencontre avec un styliste, qui est censé travailler en coordination avec coiffeurs et maquilleurs pour un des prochains shootings de SOW… Je regarde le nom du styliste en question ; Kim Tae Jun. Hmm… C’est pas lui le gars qu’on appelle Lynx ? J’ai entendu dire que ce gars avait des doigts de fée, mais surtout un vrai talent d’observation et de physionomie. Soit, des qualités de mise pour un styliste, je n’en doute pas… Mais l’idée d’avoir affaire à un styliste me fait un peu grimacer. Pas que j’ai une dent contre eux, mais dans mon esprit, les gars de cette profession sont souvent des gars précieux et tatillons au possible. Soit, je hausse les épaules ; au ouï dire, Tae Jun est un expert, et surtout, un pourfendeur du bon goût. Donc je ne doute pas de la qualité de notre travail ensemble ; la donne n’est en revanche pas la même pour notre entente… Mais bon, je suis pas assez du genre à rentrer dedans, ni même d’assez mauvaise humeur pour avoir envie de me prendre la tête. On verra bien quand je rencontrerai le gugusse !

En attendant, je vais me prendre un café pour me booster encore un peu. J’ai tout juste le temps de prendre le gobelet, que je constate qu’il est l’heure que j’aille vers les coulisses ou je suis censé retrouver Tae Jun. J’avale quelques gorgées qui viennent me brûler doucement la langue et l’œsophage, ce qui m’extirpe une petite grimace. Ce faisant, je commence à grimper les escaliers d’un pas pressé pour rejoindre le premier étage. Tout en vérifiant la salle, je mène une nouvelle fois le gobelet de plastique à mes lèvres qui m’empêche de voir devant moi. Le résultat est immédiat ; un employé un peu trop pressé me bouscule au tournant du corridor, je me retrouve aspergé de café encore brûlant. Lâchant tous les jurons dont mon vocabulaire est doté, j’ai le réflexe stupide d’essayer le liquide marron de mon t-shirt en passant les mains dessus ; ce qui bien sûr, ne fait que l’étaler et rendre le résultat encore plus dégueulasse. L’employé me présente de vagues excuses avant de filer ; je n’ai de toute façon pas le temps de lui mettre un savon. Je poursuis ma course, essuyant mes mains poisseuses de café sur mon t-shirt… Au stade ou on en est, je n’en suis plus à quelques traces prés.

J’arrive finalement dans la salle ou je suis censé retrouve Tae Jun. Visiblement, le concerné n’est pas encore arrivé ; je trouve une salle déserte, remplie d’une large table ou jonchent différents croquis, photographies, magazines et autres support, entourée de chaises. J’allume la lumière pour éclaircir le tout, et c’est sans perdre de temps que je m’assoie sur une chaise à roulette. Le temps de patienter, je joue de mes jambes pour faire tourner le fauteuil sombre. Le décor m’apparaît flouée, rapide, quand j’entends la porte s’ouvrir, et vois rapidement un gars à la silhouette frêle entrée, le visage angélique et aux traits parfaitement dessinés. Ce mec a une gueule de styliste, je me dis. Je m’arrête de tourner, et me lève aussitôt, malgré quelques tournis qui manquent de me faire perdre l’équilibre. Je tends pourtant une main – encore un peu collante de café, désolé ! – vers le supposé styliste, tandis que je lui adresse un sourire sympathique ; « Kim Tae Jun, c’est ça ? J’suis Nam Young Ho, on est censé bosser ensemble pour le prochain shooting des SOW ! » Mains secouées rapidement, je reviens m’asseoir sur le fauteuil que je me suis assigné, et fais un nouveau tour avant d’essayer de faire plus sérieux, malgré mes fringues encore trempés de café. Je m’arrête et viens m’accouder sur la table avant de tenter de discuter un peu avant de nous mettre à bosser ; « C’est bien toi qu’on appelle Lynx, non ? » dis-je avec un intérêt feint. J’suis pas un grand fan de mode… Je m’intéresse certes à l’esthétisme de mon groupe, mais mon intérêt pour la matière s’arrête là. « Hah ouais, désolé. J’ai l’habitude de tutoyer assez facilement. Ça te dérange pas ? »

Comment dire... Je m'en doutais ? Oui, j'ai pas mal d'à priori quand je rencontre les gens, même si je ne peine pas à revenir dessus une fois que je les connais un peu mieux. Mais ce gars là, Tae Jun, oh mon Dieu. J'ai la vive impression d'être devant le stéréotype même du styliste qui a pris la grosse tête. Il suffit d'entendre sa première réaction quand il me voit ; pas même une salutation, un sourire, ou quoi que ce soit d'autre. Non, juste une remarque pleine de dédain. Que je le rassure ; je sais parfaitement boire sans avoir besoin d'un bavoir, et je n'aime pas spécialement me rouler sur le sol pour en essuyer mes immondices. Si j'admets que sa phrase a quelque chose d'agaçant, je ne m'emporte pas pour autant ; quelque part, ce mec a sa réputation... Et je me dis que je m'amuserais bien plus à le faire tourner en bourrique, qu'à m'énerver pour son arrogance. Je me contente de sourire, quoi qu'à nouveau piqué quand il dit que c'est SA chaise. Faudrait-il peut-être que je l'appelle sa Majesté ? Son nom n'est pas tissé en lettres d'or sur le cuir sombre du fauteuil. Néanmoins, je me relève, esquissant un nouveau grand sourire, tandis que je lui indique le fauteuil d'un geste de main, ajoutant d'une voix un peu mielleuse ; « Oh, mais je vous en prie. » Ouais... Autant ajouter le vouvoiement à ce stade là, non ?

A peine ais-je débarrassé SON fauteuil, je viens lui secouer énergiquement la main tout en me présentant. Et là, c'est à nouveau le drame... Un nouveau murmure cynique que je n'arrive pas vraiment à comprendre. En attendant, ce n'est guère nécessaire ; il suffit de jeter un coup d’œil à la mine de mon interlocuteur pour comprendre qu'il est loin d'être ravi de bosser avec moi. Et je ne pense pas me tromper si je songe que mon t-shirt en piteux état est en parti responsable de cette prime impression. Une fois encore, je m'efforce de passer outre son comportement peu avenant, gardant ce même sourire. J'en viens finalement à me présenter en tant que membre des SOW, et donc celui qu'il va devoir supporter une bonne partie de la journée... Et à entendre sa réaction, je me dis que notre cause n'est pas perdue. Pas totalement. La preuve, il me dit quand même qu'il est enchanté ! De là à ce que ça soit sincère, je pense que je me mets le doigt dans l’œil, et bien profondément. La preuve en est qu'il ne décoche pas le moindre sourire, et qu'il me dit qu'il va avant tout falloir arranger ça... Ça ? Un index pointé sur mon torse me fait comprendre qu'il veut parler de ma tenue peu présentable. « Ah... Ouais, si tu veux. Perso, ça me dérange pas plus que ça. » dis-je en haussant mollement les épaules. Si je suis sincère ? A moitié. Disons que quand je me penche sur mon travail, c'est vrai que je ne m'attarde pas vraiment sur de telles broutilles, tant je suis absorbé. Mais attention, hors de question qu'on vienne semer la zizanie dans de telles circonstances, sous peine de me voir sortir de mes gonds – comme quoi, je peux être vraiment énervé, des fois. Après, j'avoue ne pas être spécialement ravi de me présenter à quelqu'un dans une tenue peu correcte ; j'aurais eut du temps, je serai retourné au dortoir pour me changer. Néanmoins, je dois admettre que je prends un malin plaisir à paraître aussi détaché à ce sujet, face à Tae Jun, qui lui semble très à cheval sur ce genre de détail. En somme, ma phrase tient plus de la douce provocation plutôt qu de la sincérité pure et dure, même si ce n'est pas un parfait mensonge. Bref.

J'ai enfin droit à un petit sourire quand je viens à lui demander s'il est bel et bien Lynx. Pourtant, il essaye de couper court la conversation, tout en se dirigeant vers un tas de vêtements dans lequel il fouille un peu. Je le suis, songeant qu'il veut me donner un des t-shirts du tas, tout en répondant ; « Ben si, quand même ! T'aurais pas été le grand Lynx, le styliste doué que tu es, j'aurais pas voulu bosser avec toi ! Je confis pas le style de mon groupe à n'importe qui, quand même. » Ouais... Ceci étant dit avec une tenue douteuse. Mais bon, j'essaye surtout de gonfler un peu son égo, histoire de voir si ça peut le rendre plus sympathique. Sait-on jamais, peut-être que c'est une bonne piste ! Enfin, il me tend un t-shirt et me demande assez sèchement de me changer. Je ne rechigne pas et m'exécute rapidement, avant de le rejoindre. Je m'assis sur une chaise lambda, tandis qu'il est installé sur son fauteuil. Bon, je suppose que c'est l'heure de se mettre au boulot, et c'est exactement ce que Tae Jun vient me confirmer. Et j'ai comme l'impression que ces prochaines de travail ne vont pas être les plus joyeuses qui soient... Malheureusement. « Ouais ouais, t'inquiètes. » ai-je pour seule réponse dans un premier temps.

Je me penche un peu sur toutes les feuilles et autres photographies étalées sur la table. De quoi me blaser un peu. J'ai quelques petites idées en tête pour le shooting auquel Lynx est censé nous préparer. Des idées sérieuses, hein, je vous rassure. Mais j'ai bien plus envie de faire tourner le styliste en bourrique, histoire de le dérider un peu... Parce qu'à cette allure, Tae Jun risque pas d'acquiescer à mes idées. Le souci, c'est que je ne suis pas un grand connaisseur de son travail, et c'est de fait assez compliqué de faire des fautes de goût volontaire... Mais à voir sa dégaine, je suis quasiment certain qu'il fait dans l'élégance et la classe. Je m'essaye alors ; « Pour ce shoot, j'pensais faire dans le négligé. Ça collerait bien à l'ambiance street ou underground qu'on veut donner dans notre prochaine chanson. » Jusqu'à là, tout va bien. Ces idées sont sérieuses, en plus. Mais j'y ajoute ma petite touche en saisissant mon t-shirt sale que je secoue doucement ; « Tu vois ? Un peu comme ça en fait. J'pense que ça pourrait donner un truc sympa, qu'est ce que t'en penses ? » Heh, pourquoi pas ? Je pourrais bien lui faire croire que ces tâches de café sont les imprimés naturels du vêtement, non ?

Ce mec se paye ma tête, j'en suis certain. Et d'une façon, c'est... De toute beauté, je dirais ! Et je suis sincère quand je dis ça, qui plus est. De quoi me le rendre un tantinet plus sympathique. Ou tout du moins, moins snob que ce qu'il ne semble. Vous me direz, l'un n'empêche pas l'autre, c'est sûr... Mais soit. Aussitôt ai-je relevé mes fesses de ce fauteuil pour lui laisser la place avec une voix trop mielleuse pour être honnête, après sa demande, Lynx tourne autour sans s'asseoir. Je hausse les sourcils pour l'observer, à moitié amusé et agacé. Quelque part, ce mec est un génie à sa façon pour la loi de l'emmerdement maximum. Mais je tiens mordicus à lui prouver qu'il ne pourra pas me dépasser dans le domaine, quitte à passer pour le dernier des plouc. Ma réputation n'est plus à ça prêt, je suppose... Et si je suis très à cheval sur mon travail en temps que leader, je le suis beaucoup moins sur mon image public. Pas qu'elle soit mauvaise, loin de là, mais tout le monde voit bien que je ne me prends pas au sérieux l'ombre d'un instant. Ça a de quoi démystifier un peu les idols, qui semblent souvent trop inaccessibles à mon goût. Alors qu'au final, je ne pense pas qu'on vaille beaucoup plus que les autres. On va dire qu'on a juste un peu plus de talent, et sûrement un bol monstre. Mais à part ça... Bref.

Et comme je m'y attendais, la provocation quant au t-shirt marche à fond. J'en étais sûr, que Tae Jun serait choqué de me voir aussi détaché à ce sujet. Sûr que je suis pas fier d'être porteur de vêtements tâchés... Mais c'est qu'un t-shirt quoi, faut pas en faire une montagne non plus. Lynx garde pourtant le silence, se contentant de me tendre un nouveau vêtement, visiblement crispé. Ravi de voir que mon coup avait marché, je m'empresse d'enfiler le t-shirt en question avant de flatter un peu son égo pour voir ce qui ça donnerait et... C'est le fiasco total, en fait ! Visiblement, je me suis bien planté sur ce plan là, et j'avoue être agréablement (?) surpris. J'écoute patiemment ce qu'il me raconte. Insensible à la flatterie, tout ça, garde son égo pour lui, qu'il a pas besoin des autres pour le gonfler et... Par contre, il garde bien les compliments ! Je reste pensif quelques secondes, l'observant d'un regard perplexe, la tête penchée sur le côté. Je suis censé réagir comment à ce genre de truc ? Je hausse les épaules, ne sachant pas vraiment, songeant que je dois peut-être prendre tout ça pour un « merci », en fait, même si quelque part, j'en doute. Je lui adresse un large sourire tandis que je réponds ; « Hah okay ! Bon, bah de rien hein ! Je le pense vraiment. » Bon okay, je continue à le chercher gentiment... Mais je suis assez fier de ce coup de maître sur le coup. En rajouter une couche, lui souligner son manque de gratitude, et en même temps agir comme un crétin en disant « de rien » pour rien, justement... Je fais un assez joli combo, pour le coup.

Enfin, nous nous mettons finalement au travail. Je me fais sérieux le temps de lui exposer mes idées pour le shoot dont il est en charge. Et je dois admettre être satisfait de voir que mes propositions lui parlent assez. C'est un maigre sourire qui élargit ses lèvres le temps de cette annonce... Jusqu'à ce que j'ai le culot de prendre mon t-shirt sale à titre d'exemple. Si j'étais sérieux ? Pas l'ombre d'un instant. Mais j'avoue que mon envie de le provoquer est encore bel et bien présente. Mais jamais je ne voudrais renvoyer une image crade de mon groupe, ça va pas ?! Je sais malgré tout faire la part des choses, surtout quand il est question des SOW. J'écoute sa répartie qui ne manque pas de sens, et qui résume assez bien ma pensée, malgré tout. Quand il a fini, je reprends avec un sourire en coin, sourcils haussés ; « Le sarcasme et l'ironie, c'est pas ton fort hein ? » En espérant qu'il comprenne que je n'étais pas sérieux.

Tae Jun se lève finalement de son trône pour faire les cent pas, tout en m'exposant ses idées. Je l'écoute attentivement, hochant la tête de temps à autres pour lui manifester mon intérêt. J'adhère à ses idées ; on ne peut pas faire du négligé pour du négligé. Et quand il parle d'un plus, je reprend d'une voix sérieuse ; « Je vois ce que tu veux dire. Je pensais miser le côté négligé sur les vêtements, et éventuellement jouer sur les accessoires pour appuyer sur le contraste. Tu vois l'topo ? » Le jeune styliste se penche sur ses feuilles et photographies pour trouver quelques idées et me propose de jouer sur un côté plus mafieux... Je grimace un peu à cette idée. Mon image des Yakuzas, ou même de la mafia coréenne n'est pas nécessairement négligée. Au contraire, je vois plus des hommes en costard, ou à la limite en costume traditionnel, ce qui ne colle pas du tout à ce que je souhaiterais. Mais je ne trépigne pas, attendant que Tae Jun termine de développer son idée. Je poursuis donc, peu convaincu ; « Le contraste pourrait être intéressant, mais je crains que le côté costard et street soit vraiment trop brusque et que l'un et l'autre ne s'accordent pas bien ensemble. Ou alors, éventuellement jouer sur un élément unique. Genre un accessoire, une veste, des pompes, mais c'est tout. C'est ce que tu voyais ? » Je m'affale alors sur la chaise, un peu perdu. Basculant la tête en arrière, les bras ballants de part et d'autre de la chaise, je laisse mes lèvres vibrer en ce bon vieux « brr » qu'on fait pour détendre les muscles des joues et de la mâchoire.

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