Jae Hyeok courrait à toutes jambes et croyez-le : ça ne lui arrivait pas souvent. Ce n’était pas un grand sportif dans l’âme, conférait sûrement sa longue silhouette trop mince et peu musclée, mais après tout, on est un artiste ou un sportif : on a rarement le temps, la motivation et la passion pour les deux en même temps. Et artistiquement parlant, Jae Hyeok était assez intense. Trop pour laisser de la place à une passion supplémentaire, peu importe ce qu’elle était. Donc, cette petite course sous la pluie commençait déjà à l’essouffler considérablement, le faisant grogner en même temps qu’il glissait sur un peu d’herbe humide. Ou plutôt, détrempée... Oui, c’était le terme juste. Parce que présentement, dire qu’il pleuvait c’était un peu comme prétendre qu’un obèse morbide était en léger surpoids. C’était le déluge du siècle et s’il ne se cachait pas la tête, c’est parce qu’il était trop occupé à sauver son bébé. Sa veste était enroulée autour de quelque chose d’impossible à voir, mais le connaissant, facile à deviner : l’étui de son violon électrique.

Il se serait bien caché sous une table ou un truc du genre, mais la pluie était trop démentielle pour ce faire et à celle-ci se mêlaient soudainement un grondement qui ne laissait rien présager de bon. Un premier éclair tombe. Le sol tremble sous la force de l’impact. Ce n’était pas près de lui du tout, hein. Mais visiblement, ça avait été d’une puissance indescriptible ! Il avait assisté à de nombreux orages, bien sûr. Surtout l’automne. Mais c’était une chose que d’être dans une maison quand ça arrivait et une autre d’être dehors à courir pour sauver sa peau. Ou, en l’occurrence, la peau de son violon. Un vent affreux s’élève alors que L’Ange tourne le coin du parc pour s’enfoncer un peu plus profondément dans celui-ci. C’est à peu près à ce moment-là qu’il la voit... la cabane du jardinier. Ni une, ni deux, le jeune homme fonce dans cette direction pour aller se mettre à l’abri. Il grogne alors qu’une fille le dépasse soudainement, probablement plus habituée que lui à courir. La loose, surtout vu ses petites jambes toutes courtes...!

Lorsqu’il arrive à la cabane, elle est déjà à l’intérieur et ce n’est pas pour lui faire plaisir. Lui qui pensait au moins avoir un moment en solitaire, voilà qu’il allait être coincé ici avec une nunuche. Génial... Le jeune homme referme sans même lui adresser la parole, verrouillant la porte pour s’assurer qu’elle resterait bien en place. La cabane gronde, mais ça semble être le prix à payer pour au moins avoir un toit sur la tête. Sortant son cellulaire, il vient l’observer de près non sans quelques difficultés vu la pénombre dans laquelle ils étaient plongés. Mais c’est pas la peine : Jae Hyeok constate rapidement que l’objet est complètement détrempé. En espérant qu’il n’allait pas lui claquer entre les doigts, surtout. Il se dirige en tâtonnant avant de finalement trouver une chaise sur laquelle se poser, non sans avoir viré les quelques outils qui y étaient. Et là, il sort un briquet pour s’éclairer un minimum. De sa main libre, il commence à ouvrir l’étui contenant le précieux instrument.

Il essuie tant bien que mal une main sur son jeans détrempé. En fait, Jae Hyeok semblait s’être carrément plongé dans une piscine avant d’en sortir pour aller se promener en ville, c’était terrible. Mais, son précieux instrument semblait intact et un long soupir de soulagement franchit le seuil de ses lèvres. Toutefois, lorsqu’il relève le nez de son bébé, son regard se pose sur deux billes d’obsidienne qui l’observaient. Il arque un sourcil avec sa lenteur habituelle devant ce spectacle.

« Quoi ? », demande-t-il de son ton lent et profond, faisant fi des manières et de la politesse qu’il aurait dût avoir. Surtout qu’il ne savait pas trop si cette fille était son aînée ou pas. Dur à dire. Mais en fait, il s’en fichait comme de l’an quarante. « C’est bon, on est coincé ensemble, mais on a pas besoin de copiner. »

Et sur ce, Jae Hyeok baisse à nouveau le nez sur son instrument, laissant ses longs doigts fins de pianiste caresser le bois poli de l’objet, se rassurant de le trouver dans un tel état. De fait, il fini par refermer l’étui, remerciant silencieusement la compagnie qui avait créé un objet si délicieusement étanche ! Et la fille ? Bah, elle va bien se trouver autre chose à faire. Aller poster un statut sur Facebook ou se manucurer les ongles, peu importe...

Aussitôt dit, Jae Hyeok a à nouveau le nez plongé dans son étui à violon, tout prêt à recommencer à s’occuper de son bébé plutôt que de prêter attention à cette fille. Il caresse du bout des doigts l’étui encore complètement trempé. C’était quand même fou que ce soit aussi étanche ! Il prenait bonne note de ne plus acheter que des étuis de protection de cette marque. Toutefois, on le tire rapidement de ses pensées parce que visiblement, il n’était pas tombé sur la Coréenne moyenne. D’où le petit accent qu’il dénotait dans sa voix, peut-être bien... Ah, ces étrangers... Paresseusement, Jae Hyeok relève son regard endormi vers la jeune femme, un petit soupir franchissant le seuil de ses lèvres. Ennui ou mépris, allez savoir. Peut-être un peu des deux, connaissant la bête... Quoi qu’il en soit, il était évident qu’il n’avait guère envie de nouer le contact avec qui que ce soit présentement, surtout pas elle.

Le jeune homme arque un sourcil alors qu’en plus de lui balancer des conneries par la tête, elle utilise un ton très informel et donc, très impoli puisqu’elle ne le connaissait pas. Était-elle son aînée ? Peut-être. Peut-être pas. Rien ne le leur prouvait, ils semblaient être à peu près du même âge. Toutefois, railleur, Jae Hyeok ne s’en laisse pas imposer.

« Oh, pardon noona. C’est vrai qu’en plus tu aurais besoin d’un bon petit relooking, là comme ça. Quoique dans ton cas, je me dirigerais plutôt dans le rayon rénovations. », commente mesquinement le pianiste, n’aimant guère le ton sur lequel la jeune femme s’était adressée à lui. « Ne t’inquiète pas, noona. Je préfère que tu me trouves peu sympathique. Peut-être que tu vas résister à l’irrésistible envie de m’importuner. »

L’Ange a un petit soupir pincé tout en tournant la tête vers la porte qui ne semblait finalement plus aussi solide qu’elle en avait eu l’air dans un premier temps. Dehors, à la merci des éléments, cet endroit semblait être un vrai fort. Mais une fois à l’intérieur, on réalisait surtout que la pluie glissait par tous les petits trous qu’elle pouvait trouver et que la cabane craquait méchamment. Ça n’avait rien de rassurant et même si Jae Hyeok garde son calme, il ne sous-estimait pas la tempête qui était en train de s’abattre sur eux. Peut-être que son stress le faisait tout simplement se comporter comme un vrai salopard. Disons, plus qu’à l’habitude... Ça ne ferait probablement pas bonne impression s’il était reconnu, mais la noona devant lui ne semblait guère avoir plus de connaissances musicales qu’un ver de terre. Tant mieux. Il n’allait pas se priver si c’était comme ça. De toute façon, il ne faisait pas souvent attention à l’image qu’il renvoyait, fidèle à lui-même. Son manager n’aimait pas ça, mais qu’y pouvait-il ?

La jeune femme ne semble pas trop rassurée de son côté et pour ça, Jae Hyeok ne peut pas lui en vouloir. Il a un bref regard pour elle à sa question, avant de le détourner pour le lever vers le plafond. Il sursaute lorsqu’une goutte d’eau lui tombe dans le front, grognant un peu tout en passant sa main dessus. À nouveau ,le vent gronde dehors et la petite cabane tremble, pas très très solide sur ses fondations. Vraiment, ça foutait le cafard...

« Aucune idée. », marmonne-t-il finalement tout en poussant un petit soupir. Lui non plus n’aimait pas trop la solution, même s’il ne se départirait probablement pas de son calme légendaire même au milieu d’une tornade. « Mais je crois que c’est un véritable ouragan qui déferle présentement sur nous, aussi vaudra-t-il mieux rester ici un petit moment après que ce soit redevenu calme. »

Il y a un moment de silence... et histoire qu’elle ne proteste pas, il pose à nouveau son regard sur elle tout en précisant :

« Parce qu’on pourrait être dans l’oeil de l’ouragan et on pourrait trouver pire en essayant de quitter cet endroit. »

Ce n’était pas plus difficile que ça. Même si franchement, il aurait aimé être à mille autres endroits que dans cette cabane miteuse en compagnie d’une jeune femme qui ne semblait pas avoir appris la politesse élémentaire ! Oui bon, l’hôpital qui se fout de la charité, tout ça...