Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Si Yun roulait dans Séoul, elle était détendue, autant même dire totalement à l'ouest, ce qui expliquait pas mal de chose quant à ce qui allait suivre dans quelques minutes. Mais en attendant elle profitait de ce jour de congé que la NG lui avait accordé. Elle avait dormi comme jamais, puis s'était levée, s'était douchée et vaguement habillée avant d'aller directement dans un salon de beauté pour se payer la totale, manucure, hammam, massage, coiffure et maquillage. Elle était sortie de là revigorée et très différente de quand elle était rentrée, une femme nouvelle, en somme. Elle roulait dans une petite voiture qui n'était pas la sienne, empruntée à l'agence. Elle aimait conduire, surtout en milieu de journée et la nuit, quand les grandes artères de la ville n'étaient pas complètement bouchées. S'il avait fait un peu plus beau et un peu plus chaud, elle aurait jeté son dévolu sur une décapotable ou quelque chose comme ça, pour pouvoir rouler les cheveux au vent.

Autant dire qu'elle ne regardait pas du tout où elle allait, enfin juste le minimum vital pour ne pas embrasser un camion. Elle pensait à la suite de sa journée : aller dans son salon de thé préféré pour déjeuner, puis s'accorder une heure ou deux de shopping, et puis rentrer chez elle s'habiller un peu mieux que ça et sortir, peut-être seule, peut-être après avoir appelé quelques amis, elle ne savait pas encore. C'était tellement rare qu'elle ait ce genre de liberté qu'elle ne savait jamais quoi en faire tant les possibilités étaient nombreuses. Du coup elle vit bien que le feu venait de passer au rouge devant elle mais à part ça, rien, ça n'eut aucune incidence sur sa conduire, comme si l'info resta bloquée dans son cerveau sans qu'elle soit communiquée à ses membres. Le feu était rouge et une voiture s'y était arrêtée devant elle ? Cool. Excellent.

Et donc, à quelle heure est-ce qu'elle devait prévenir ses amis si elle voulait être sûre de les retrouver au bar ? Et est-ce qu'elle avait encore quelque chose à se mettre ? Tout à l'heure quand elle ferait les magasins elle tâcherait de se trouver une petite robe sympa et, forcément, les chaussures qui vont avec. A ce moment-là seulement elle réalisa que ce foutu feu était rouge et qu'il y avait une foutue voiture arrêtée à ce feu devant elle, là, à vingt mètres. Elle freina brutalement, il y eut un crissement de pneu et boum. Elle emboutit bien comme il faut l'arrière du véhicule devant elle, manquant de cogner le volant de son front.

Les cheveux dans les yeux, elle redressa le visage et lâcha lentement son volant, le cœur battant à toute vitesse. C'était la première fois qu'elle avait un accident de voiture, et c'était absolument désagréable. Le pire étant que les quelques témoins ayant assisté à la scène étaient maintenant en train de la fixer en parlant tout bas comme si c'était un super spectacle. De façon tout à fait illogique, elle en voulut soudain à mort au type devant elle, détacha sa ceinture, sortit de sa voiture et planta ses talons hauts dans le bitume avant de réaliser qu'elle n'était pas vraiment bien placée pour pousser une gueulante. Elle se rapprocha de la vitre du conducteur.

— Euh... tout va bien là-dedans ?

Elle allait attendre de voir à qui elle avait affaire avant de sortir le grand jeu des yeux mouillés de larmes et des excuses.

Une fois de plus, la journée avait bien commencé pour moi J'avais rencontré quelques personnes de l'agence, discuté avec mes voisins et, désormais, je prenais un peu de temps pour essayer ma dernière acquisition : une voiture neuve et pratiquement immaculée. J'ignorais pourquoi, mais la couleur blanche m'avait tapé dans l'œil quand j'étais allé chez le concessionnaire et, comme je réfléchissais à l'achat d'une automobile depuis quelques temps, je n'avais pas hésité et, quelques semaines plus tôt, j'étais allé commander la voiture dans laquelle j'allais monter à l'instant. Souriant comme jamais, je me mis au volant de cette voiture nouvellement achetée et je décidai de rentrer chez moi... enfin, rentrer chez moi en faisant un large détour afin de profiter de cette petite merveille dont j'entendais le moteur ronronner doucement. Tout était parfait.

Tout ? Non. Il manquait un élément incroyablement important pour moi, un élément qui allait rendre toute l'histoire bien moins amusante : je n'avais pas eu ma dose de chocolat pour la journée et cela, c'était une bien mauvaise chose pour les personnes qui me mettraient de mauvaise humeur en cette journée. Je souris pendant quelques secondes, tout heureux de conduire ce petit bijou qui, muni de tous ses gadgets, allait me combler à chaque fois que j'aurais à faire un trajet et, quand j'arrivai à hauteur d'un feu de signalisation, je l'observais afin de m'assurer de sa couleur. Quand je le vis tourner au rouge, je freinai tout naturellement. Je n'avais aucune envie d'endommager mon véhicule.

L'air pensif, je posai le regard sur le feu de signalisation, attendant sagement que celui-ci devienne vert afin de pouvoir continuer mon chemin. Malheureusement, j'étais tellement absorbé dans cette observation que je ne réalisai pas qu'une voiture s'approchait dangereusement à l'arrière de mon véhicule. Je sursautai donc quand je sentis le choc de l'accident. J'eus beaucoup de chance de ne pas me taper la tête contre le volant et, une fois remis de mes premières émotions, je coupai le moteur et j'entendis quelqu'un m'adresser la parole. Je levai les yeux, un regard noir et sévère, en direction de la personne qui avait osé me poser la question dangereuse et, même s'il s'agissait de Si Yun, je m'adressai à elle avec un grand énervement.

« Ca a l'air d'aller ? Elle était neuve cette voiture ! » Dis-je en trépignant un peu, agacé par les évènements.

Je n'avais tellement pas envie de payer les réparations de mon véhicule... C'était bête car cela aurait sans doute réglé le problème, mais j'avais déjà du débourser pas mal d'argent afin d'acheter cette voiture, alors que je n’avais pas envie de devoir en donner à nouveau pour faire réparer l'erreur d'une autre personne, même lorsque celle-ci était une très bonne amie... c'était tellement stupide d'en arriver là...

«  Et je vais faire réparer ça comment? C'est toi qui vas payer ? » Demandai-je avec le même agacement.

Le manque de chocolat n'avait jamais été une bonne chose pour moi et, en cet instant, je le pouvais mieux que jamais. J'aurais tellement aimé que mes amis ne me voient jamais comme ça… Malheureusement, les mauvaises choses arrivaient toujours au plus mauvais moment... Après un bref soupir, je croisai les bras pendant de longues secondes, réfléchissant encore et toujours à ce qu'il venait de se passer, même si mes pensées n'étaient pas des plus positives puisqu'elles me ramenaient toutes au même fait désagréable : ma nouvelle voiture avait été emboutie...

Oh. Oh, ben c’était Kenta. Tout irait bien, donc, non ? C’était son ami, Kenta, ils se connaissaient depuis des années. Ils s’étaient rencontrés à la New Generation et elle ne savait plus vraiment pourquoi ni comment mais ils avaient bien accroché tous les deux. Pourtant elle était bizarre, comme fille, et lui il n’était pas mal non dans son genre. Un peu Dr Jekyll et Mr Hyde, en fait. Mais bon c’était peut-être parce qu’ils étaient un peu timbrés tous les deux qu’ils s’entendaient si bien. En tout cas elle espérait juste qu’il était dans un bon jour aujourd’hui parce qu’elle venait de cartonner sa voiture, et c’était une sacrée belle voiture qui plus est. Mais bon entre amis, c’était quelque chose qui se faisait. Enfin elle espérait. En tout cas elle pouvait voir le regard noir que le jeune homme lui lança à travers la vitre de sa fenêtre. Bon, peut-être qu’il était dans un mauvais jour. Et si c’était le cas, il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse y faire. Ils s’entendaient bien, mais ils avaient aussi leurs lots de disputes. Peut-être justement parce qu’ils s’entendaient bien ? Enfin bref, elle se recula pour le laisser sortir et accueillit ses paroles accusatrices en rentrant la tête dans les épaules.

Ah ben oui, la voiture était neuve, évidemment. Elle se disait bien aussi qu’elle était plutôt jolie, toute propre et brillante, enfin sauf l’arrière qui maintenant était enfoncé, le coffre à moitié ouvert sous le choc, et sûrement qu’il ne pourrait pas le refermer avant que tout ait été réparé tellement elle avait tapé fort. Elle fit l’effort de paraître désolée et coupable, surtout qu’elle se sentait un peu désolée et coupable. Mais quand il se mit soudain à lui dire que le coût des réparations était pour elle, elle se rebella aussitôt.

— Quoi ?! Mais non, je ne vais pas payer. Tu peux pas me faire ça, on est amis !

C’était une pauvre raison, mais bon. En plus c’était stupide, elle avait de l’argent à ne plus savoir qu’en faire, alors elle aurait simplement pu accepter, mais elle prenait ça comme une attaque, et puis Kenta aussi avait de l’argent, lui aussi était célèbre, après tout. Elle alla jusqu’à l’arrière de la voiture emboutie et essaya de redresser le pare-chocs arrière du pied, en vain. Puis elle essaya de refermer le coffre, mais là encore, ses efforts furent inutiles. Ahem.

— Ça peut pas être si grave, c’est que de la tôle froissée, regarde. C’est que dalle, ça te coûtera rien.

Ah ben oui, juste comme ça. Mais n’empêche que Kenta avait vraiment l’air énervé. Ah. Si ça se trouvait, il était dans une de ses phases… Et dans ce cas-là elle pouvait bien parler et parler, c’était comme si elle s’adressait à un mur. Décidément, cette belle journée prenait une mauvaise tournure.

— Écoute, c’est pas ma voiture que je conduis, là, je vais pas faire un constat et tout, ça m’embête.

Ah ben oui voilà, ça c’était une bonne raison de s’en sortir sans rien payer. C’était une question d’honneur. Et puis pourquoi tout de suite parler d’argent ? Il ne savait pas que ce n’était pas un sujet à aborder entre amis, justement parce que ça mettait le bordel ?

Haha, ma nouvelle voiture. Ma nouvelle voiture était bousillée… Non, je n’étais pas de mauvaise humeur, j’étais même d’une humeur radieuse, surtout en manque de chocolat comme je l’étais. Pourquoi le sort devait-il s’acharner sur moi de cette manière ? C’était tellement sadique. De toute façon, maintenant que le mal était fait, je ne pourrais ni faire demi-tour, ni oublier que ma nouvelle voiture venait d’être sauvagement percutée par… Si Yun. Comme quoi les choses pouvaient toujours être pire, même lorsqu’elles semblaient déjà catastrophique. Après tout, j’étais comme tout le monde et, même si je n’étais pas du genre à m’attacher à ce point aux choses matérielles, je devais bien avouer que j’en étais fier, de mon petit bijou ! Pourquoi avait-il fallu qu’une amie à moi la percute lors de sa première sortie ? J’avais fermé les yeux pendant quelques secondes à cette pensée, avant de lui demander si elle comptait payer.

Sa réponse fut tellement prévisible ! J’aurais du me douter qu’elle refuserait de payer pour ce qu’elle venait de faire : tous les coupables le faisait. Cependant, je ne pouvais pas accepter que ma propre amie refuse de réparer son erreur. Évidemment, je n’allais pas faire un scandale en pleine rue, pas moi, Katase Kenta, j’avais trop d’estime de moi-même pour cela et j’aurais eu trop peur de me ridiculiser devant tous les passants, mais je devais bien avouer que réfléchir à une solution faisait pleinement partie de mes plans du moment.  Je devais trouver un moyen de réparer cette erreur, de comprendre pourquoi Si Yun avait osé foncer dans ma voiture. Peut-être était-elle au téléphone au moment où son véhicule approchait du mien ? Peut-être envoyait-elle un sms ? Les possibilités étaient tellement nombreuses que je ne pouvais choisir la bonne.

« Amis ou pas, ça ne change rien !  » Dis-je d’un ton outré « T’as détruit ma voiture !  »

Bon, peut-être que j’exagérais un peu les choses. Le véhicule était certes gravement endommagé, mais il était réparable, ce n’était pas comme si la jeune femme avait totalement réduit ma nouvelle voiture en poussières… Malheureusement pour elle, j’avais tendance à m’emporter facilement quand je n’avais pas ma dose de chocolat quotidienne et, en général, je n’étais pas des plus tendres. Pour couronner le tout, j’étais du genre têtu quand j’étais dans cet état et, dans une situation comme celle que nous vivions en cet instant, ce n’était pas forcément une bonne chose, ni pour elle, ni pour moi.

« Mais si ! Tu vois pas ? Ca ne se faire même plus ! » Dis-je à mon amie lorsqu’elle tenta de me montrer que la voiture n’était que peu endommagée.

Je me tins le front après ces quelques paroles. Pourquoi tentais-je de la raisonner ? Cela ne servait à rien, je le savais en plus ! Je fermai les yeux à nouveau, massant un peu mon menton comme si je cherchais à trouver la solution d’un problème réellement compliqué et, quand j’entendis la jeune femme reprendre la parole, je ris un peu, même si ce rire n’était en aucun cas un signe d’amusement. Je voulais, au contraire, montrer à quel point ce qu’elle me disait me paraissait absurde et, en l’occurrence, absolument inadmissible.

« Parce que ça m’embête pas, moi, que tu ais bousillé ma voiture ? »

Je n’avais pas envie de me prendre la tête avec Si Yun. Après tout, nous nous entendions bien et elle était l’une des rares femmes avec qui j’arrivais à discuter à peu près normalement. Mais même ainsi, je ne pouvais pas accepter qu’elle ait embouti ma voiture et qu’elle refuse de payer au moins un peu… C’est vrai quoi, faire réparer une voiture neuve, même en étant idole, c’était cher et désagréable, non ? Les bras croisés contre mon torse, je jetai un regard sévère à Si Yun, espérant qu’elle change d’avis.

De façon très prévisible, Kenta n’encaissa pas très bien le fait que Si Yun ne voulait pas payer pour sa voiture. Elle-même ne savait pas très bien pourquoi elle faisait tant de manières. C’était bien sa faute à elle après tout. Et sûrement qu’avec n’importe qui d’autre, elle aurait payé sans discuter. Mais là c’était Kenta, un de ses amis les plus proches. Et bizarrement ça l’énervait qu’il lui demande de l’argent, qu’il soit aussi en colère, aussi, voiture neuve ou pas, et qu’il lui demande de l’argent comme ça sans même lui demander si elle allait bien ou quoi. Ils étaient amis oui ou non ? Ils ne pouvaient même pas papoter un peu avant d’en venir au sujet qui fâche ? Oui bon le point principal c’est que c’était bel et bien sa faute et qu’elle tentait d’esquiver tant qu’elle pouvait d’assumer ses responsabilité, mais le fait que Kenta soit aussi énervé n’aidait pas du tout. Ami ou pas ça ne changeait rien ? Si Yun prit l’air choquée et lui tourna le dos, sentant à son tour la colère l’envahir. Comment est-ce qu’il pouvait dire ça ? Alors c’était ça, pour lui, l’amitié, ils étaient copains quand tout allait bien et au moindre souci ils ne se connaissaient plus ? Les hommes étaient vraiment indignes de confiance !

Elle se tourna de nouveau vers lui et réalisa enfin que peut-être, sa mauvaise humeur venait de son manque de chocolat. Oui, elle était bien au courant de son addiction au chocolat et l’avait vu plus que souvent en état de manque, et maintenant qu’elle y réfléchissait, ça y ressemblait fort aujourd’hui et maintenant. Ce qui tombait quand même super mal ! Pourquoi avait-il fallu qu’il soit en manque pile au moment où elle lui avait embouti sa voiture, hein ? La malchance ! Et d’ordinaire elle avait toujours du chocolat sur elle pour lui en donner en cas de besoin, mais aujourd’hui bien sûr, elle n’avait rien, elle n’avait pas du tout prévu de le voir. Et en attendant, rien de ce qu’elle lui disait ne semblait l’atteindre, non, il était obsédé – en plus du chocolat – par sa fichue nouvelle voiture. Oui, oui, elle voyait bien que le coffre ne fermait plus. Elle sentait bien que l’après-midi allait être longue, là, et peut-être bien qu’elle ferait mieux de lui faire un chèque et ils en resteraient là, mais si elle faisait ça ils se quitteraient juste fâchés et qu’est-ce qui les forcerait alors à se reparler, hein ? Non, pas question ! Même s’il la regardait d’un air énervé, attendant visiblement qu’elle arrange tout d’un coup de baguette magique. Ou de chèque magique pour être exacte.

— Bon et si tu commençais pas te calmer ? On peut très bien parler de ça tranquillement. On est amis, non ?

Elle savait bien que ça ne servait un peu à rien qu’elle dise ça. Enfin, s’il n’avait pas été en manque de chocolat peut-être que ça aurait servi à quelque chose mais là elle doutait que ses paroles l’atteignent. Elle était à deux doigts de se jeter sur les passants pour leur demander s’ils n’avaient pas du chocolat sur eux.

— T’es en manque c’est ça ? Ca veut dire que quoi que je dise ou quoi que je fasse, tu ne seras pas content. Dans ces conditions, il vaut mieux pas discuter accident et argent maintenant.

Elle contra son regard sévère par une petite moue suppliante. Chacun ses armes.

— Si tu veux je te dépose quelque part, on laisse un dépanneur te ramener ta voiture et on reparle de tout ça tranquillement demain !

Et comme ça elle ne serait pas en retard pour retrouver ses amis au bar, en plus de ça, c’était la solution parfaite !