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Je croule sous les feuilles depuis bientôt deux heures. Jamais je crois une chanson ne m'a donné autant de mal et pourtant, là, je suis officiellement en pure galère. J'ai déjà épuisé deux paquets de chewing-gums, trois de Haribo et une barquette de cerises. Autant dire que là c'est la misère. J'ai beau me concentrer, me plonger dans l'ambiance et tout ça, le résultat reste désespérément le même. Rien. Nothing. Nada. Aaaargh. Maintenant j'ai une chanson espagnole dans la tête ! Je laisse tomber ma tête sur le bureau, désemparée et complètement à bout de forces. Je n'y arriverai jamais ! Pourquoi diable suis-je allée clamer haut et fort que j'avais trouvé LA chanson du siècle et que j'allais la boucler en une journée maximum ? Sérieusement, ce matin, tout allait bien, j'étais dans mon élément, je gérais. Mais depuis la pause déjeuner, mon inspiration s'est envolée et avec elle, toutes mes compétences qui font de moi une des meilleurs compositeurs de l'agence et en plus plutôt appréciée par le patron d'après ce que j'ai pu comprendre. Si je veux garder ma place, j'ai intérêt à ne pas flancher. Je vois déjà les pires scénarios : jeune femme au chômage avec une petite fille à nourrir et à élever. Le cauchemar. Déjà que concrètement, la situation n'est pas simple – oui soyons clair : qui se risquerait à s'intéresser à une fille déjà mère ? - mais si en plus je n'ai plus d'emploi, ma vie est fichue ! La prochaine fois, je ferai moins la fière et je tiendrai ma langue, promis ! En attendant, je dois me confronter à cette feuille à moitié remplie : pourquoi remplir l'autre moitié me semble être un véritable calvaire ?

N'y tenant plus, je sors de mon bureau et me précipite vers la première machine à café que je vois. Voilà ce qu'il me faut ! Un bon cappuccino pardi ! Même si la partie espagnole qui est en moi me crie que c'est pure traîtrise, il me faut cette boisson chaude italienne tellement délicieuse qui a le don de me remettre en forme dès que j'en bois. Malheureusement, même pour le personnel, ce n'est pas gratuit et si on en veut, il faut payer. Enfin, le travail paie bien donc ce n'est pas un problème en soi si ce n'est que l'agence semble vouloir se faire des recettes sur notre dos ! Je préfère quand même ça plutôt qu'il n'y ait pas de machine à café cela dit. Après ce débat intérieur, j'insère les pièces une par une et attends patiemment ma fontaine de Jouvence. Je me sentirai renaître une fois que j'aurais bu une gorgée de ce cappuccino et travailler sera alors bien plus facile. Je pourrai même commencer à bosser la mélodie si tout va bien ! Je récupère enfin mon trésor que je déguste sur le champ : bon sang ce que ça fait du bien ! Je ne bois toutefois pas tout – il faut économiser ses forces ! - et me rends à nouveau dans mon bureau avec mon sauveur en main. Voilà qui est mieux. Je reprends la feuille et le crayon et recommence à réfléchir en regardant l'heure qui tourne. Il me reste trois heures maximum si je veux boucler ce texte. Je regarde longuement ce dernier, scrutant chaque ligne écrite jusqu'à présent et finalement, le déclic arrive. Tout vient naturellement. Je laisse ma main filer, aligner les mots les uns après les autres, rayer, corriger, retravailler chaque ligne encore et encore. Quelque chose me dit que finalement, j'arriverai à finir plutôt vite en fin de compte.

VICTOOOOIRE ! Il est dix-sept heures quinze et je viens de mettre le dernier point sur la chanson. Mélodie comprise. Cette chanson est officiellement finie et je n'ai plus qu'à la soumettre. Je la relis une dernière fois cette dernière et finis par la ranger dans mon sac à main. Je peux partir maintenant et aller chercher Ri An chez sa nounou. Elle va être contente de me voir arriver plus tôt ! Je souris en imaginant déjà ma petite fille me sauter au cou en criant « Maman ! » comme une folle. Moi aussi je suis pressée de la retrouver et je m'habille rapidement, bien que veillant à rester soignée. Mes talons claquent précipitamment sur le sol alors que je me presse pour sortir de l'office. Tandis que je ferme la porte de ma pièce professionnelle, je sens qu'on m'observe. Du coin de l'œil, je regarde en direction de l'individu qui me scrute. Non mais c'est quoi cette façon de regarder les gens ? Je ne sais pas qui est ce type mais il va apprendre que je n'aime pas ses façons de faire. Une fois mon bureau sécurisé, je me dirige droit vers lui, le regard énervé et sévère. Je suis tellement offensée que j'en serre les clefs comme pas possible. Voilà, il m'a fichu en l'air ma journée. Je me plante face à ce jeune homme, dont le visage me dit cependant quelque chose, nullement intimidée. Je suis peut-être frêle mais je ne me laisserai pas faire, quelle que soit la situation. Il va comprendre qu'on ne se comporte pas comme ça avec les femmes, oh que non.

« Tu veux ma photo ? C'est quoi cette façon de regarder les gens tu m'expliques ? »

Mon ton est agressif et pas très sympathique. Oui, je peux me montrer méchante et alors ? J'aime pas quand on me mate comme ça. Je n'ai pourtant pas mis de mini-jupe en plus !