Ce matin-là, j'avais bien senti que quelque-chose de terrible, de purement mauvais allait arriver. Tous les signes étaient là. Mon père avait flairé le fléau : comme par hasard, il était parti faire son jogging sans tenter de vainement m'entraîner avec lui. Le paquet de pains fourrés au chocolat n'était plus qu'un cadavre gisant sur l'îlot flottant de la cuisine. Je fusillai la scène du regard, encore un peu endormie, devinant qu'il n'avait pas pris la peine de manger correctement OU de ranger. Et après, moi, je laissais trainer une miette et on m'en parlait pendant une semaine.
Devinant qu'il y en avait plus aucun, j'étais allée prendre une bonne douche chaude, me sentant complètement endolorie. J'avais besoin de détendre mes muscles et les nerfs. Surtout mes nerfs. J'allais devoir affronter une nouvelle journée avec le démon Eden, j'avais par conséquent besoin qu'ils soient préparés. En fin de compte, j'avais bel et bien adapté mon rythme de vie à sa personne. Pas de choix vu qu'il était celui qui parasitait mon espace de vie et non pas l'inverse. Mais je préférais encore ça. Imaginez-moi chez lui ! Il se permettrait de me donner des ordres... quant à sa famille. Sa famille...

J'arretais d'y penser, après tout je devais me détendre.
Une fois refaite, je n'avais plus qu'une envie, fournir mon corps en énergie avant que l'ogre ne se lève. Mais vous savez ce qu'on dit, quand on parle du loup... on voit sa queue. Je m'asseyais à peine sur le tabouret que j'occupais habituellement qu'il fusa dans la pièce. « Je t'emmène quelque part ce matin, Hyo Lin. Le van part dans dix minutes, ne sois pas en retard... » je restai scotchée, mon pain au chocolat devant la bouche. Je rêvais où il me donnait encore des instructions ? « S'il te plait. » Ma tête fit un tour si sec que ma nuque en craqua. Je rêvais où il venait de me dire s'il-te-plait ? Deuxième question qui me décida : je n'étais pas réveillée en fait depuis tout ce temps. Puis Eden ? Être debout si tôt ? Sans qu'il ne bronche ? Je me pincai immédiatement pour vérifier la réalité de tout ça. Je sursautai alors en sentant une vive douleur dans mon bras. J'observais un instant celui-ci ainsi que ma main. « Daebak ! Alors c'est réel tout ça ? Où est le calendrier, que je marque vite ce jour... »
Vous pensez que j'en faisais des tas ? Moi non. A tel point que j'ai vraiment attrapé à pleines mains le calendrier et un stylo, marquant ce jour-là d'un 'Chuka-hae Evan~ Tu as appris la politesse ♥'. Vous savez les enfants, faut toujours les encourager et sougliner leurs progrès. Comme quoi, je ne suis pas de SI mauvaise foi, je remarque quand même !

Et retirez-moi cet air sceptique de suite.

Un des membres de l'équipe m'informa qu'on partait bientôt, je prenais donc juste le temps de donner à manger à mon animal, celui de mon père, lui écrire un mot et prendre mon défouloir avant de vite rejoindre le van. Aux côtés d'un garçon plus sérieux qu'à l'habitude. Je me disais vraiment que mon père était un lâche ! Si seulement j'étais partie avec lui pour ce fichu jogging auquel j'avais droit à une invitation chaque saint jour que la terre nous offre ! Mais non, le seul jour où ça me serait utile, il fallait qu'il me laisse dormir. Il aurait au moins dû me mettre un coup de pelle - je devenais cynique. Et encore, je le semblais toujours moins qu'Eden. Je ne le regardai pas, en fait, je ne lui parlai même pas. Du moins, j'en avais aucune intention. Je sentais bien que ce n'était pas le moment. J'attendais juste qu'il m'infome pourquoi ça ne l'était pas. « Je te serai gré de ne pas trop poser de questions si tu veux bien. On va chez mon père. Je dois lui parler, et de toute façon, c'était dans le programme des choses à faire. » J'inspirai fortement en entendant ces paroles. Rien de ce qu'il me dit me plût. Pas très étonnant. Mais cette fois, j'appréhendais un peu.

Mes pensées du réveil me revinrent en pleine figure, s'imissant à nouveau dans mon cerveau. Je ne voulais absolument rien savoir de sa vie de famille, des membres composant celle-ci, de l'endroit où il vivait. Pourtant, les choses s'imposaient à moi. Je haïssais vraiment ce programme TV. J'allais m'ennuyer en plus de ça pendant tout le chemin. Je sortai, frustrée, de mon sac la Barbie et lui tirai les cheveux un bon coup avant de la ranger sur le champ. Je me sentais pas mieux mais au moins, le fils à papa n'avait pas une calvitie précoce et soudaine...

Après quelques longues, interminables, éternelles même, minutes, le van ralentit devant une sorte de grand complexe. Je serrai mes lèvres très fort pour ne pas soupirer ou faire une réflexion. Mais ma tête roula en arrière devant le cliché qu'on me faisait vivre. Je haïssais le show hein ? Eh bien je haïssais aussi cet endroit et la liste promettait d'être longue en ce jour de malheur.
Ha ! Qu'est-ce que je disais ?! On avait maintenant droit aux gorilles de service. Fantastique. Et évidemment, mon sac pouvait potentiellement renfermer une bombe. Ah bien y réfléchir remarque, si j'avais su avant de quitter la maison, j'aurais sûrement cherché un truc du genre oui... Je toisai furieusement le sol alors qu'il finissait de fouiller mon sac. Mon regard s'arrêta sur la poupée qu'il sortit. « Quoi ? Ce n'est quand même pas une menace ? » marmonnai-je en reprenant sèchement mes biens.

Il me fallait un village lego à la maison, que je m'imagine tous les faire sauter... je hochai la tête alors qu'on avançait. Je n'avais pas accordé d'attention au garçon que j'accompagnais depuis cette fouille, au comble de l'agacement. Je réalisai soudain alors qu'il n'avait pas changé son attitude si stricte. Cela me faisait bizarre. Qu'il ne me parle pas, encore, ça n'avait rien de surprenant vu tout le crédit qu'il m'accordait... mais cet air...
Mes yeux se posèrent sur la porte d'entrée ... qui parlait. J'eus un petit hoquet de dédain. Stéréotypé. Et je n'aimais pas ces choses qui parlaient sans qu'on ne leur demande rien. Non, en fait, elles n'avaient pas à parler même si on leur demandait quelque-chose ! Je fis une moue en la regardant même une fois qu'on l'eut dépassée, me laissant trainer par Eden sans broncher, me répétant les mots entendus : Cho... Min Huan. C'était son vrai nom alors ? Je gardais ça dans un coin de ma tête et m'occupais à autre chose pour l'instant. Mes yeux se baladaient partout, essayant de trouver des repères en vain. J'étais pour la première fois de toute cette aventure déçue que les caméras soient loin de nous. Me retrouver sans personnes extérieures dans l'appartement des Cho... peu engageant. Mais avais-je seulement le choix ?

« Mets toi à l'aise, je vais voir où est-ce qu'il est... Enfin on ne reste pas longtemps, je te ferai la visite et tout le blabla une autre fois. » Non je n'avais pas le choix. Je hochai simplement la tête, n'ayant jamais eu à faire à cet Eden là. Et par conséquent, j'ignorais comment lui parler. Je balayais des yeux les lieux, cherchant des portraits de famille parfaits. Que j'eus bien du mal à trouver d'ailleurs mais mon attention fut reprise aussitôt, de toutes les manières, par une entrée. Celle du père de... Cho Min Huan.
Je m'étais un peu courbée, prête à m'incliner poliment devant lui quand je vis qu'il nous accorda à peine son attention et resta suspendu à son téléphone. Je clignai des yeux, soufflée. Même mon père ne me faisait pas de coups pareils. Et pourtant, dans le passé, notre relation était loin d'être bonne.

Encore un peu étonnée, je suivais les indications si aimablement donnée. « Finalement, je crois mieux comprendre certaines choses... » marmonnai-je assez fort pour que 'Min Huan' puisse entendre. J'étais clouée. Je restai d'ailleurs à observer l'homme, me demandant s'il allait enfin daigner, si pas à moi, accorder de l'intérêt à accueillir son fils. J'espérais me tromper sur l'identité de cet homme. Mais comme je l'avais soufflé, cela n'aurait rien eu de surprenant. Les Cho... j'allais tous me les mettre à dos à ce rythme. Il fallait que je reste calme.

Je jetai un regard au brun non loin de moi et lui pinçai le bras d'un coup. Oh oui, j'allais sûrement l'agacer, mais ça lui ressemblerait bien plus. Au moins pour une seconde. « C'est pour me mettre dans le pétrin avec toi... » soufflai-je sérieusement. Comme quoi, parfois, la Barbie ne suffisait pas.
Je me redressai un tantinet, fixant de nouveau le paternel de mon ennemi. Le père du mal.

La prochaine fois, j'irai faire du jogging dans tous les cas.

« Pas maintenant Hyo Lin, s'il te plaît. » Ah oui ? Pas 'maintenant' ? Et quand alors ? Quand il sera écroulé sous la tension ? C'était limite si elle était plus palpable que son ego pour une fois. J'ignorais ce que cela pouvait bien me faire : je m'étais mise d'accord avec mon cerveau pour ne jamais me préoccuper des états d'âme du nommé Eden. Juste assez pour ne pas le laisser mourir de faim. Pourquoi ça ? Parce que je n'avais aucune envie de finir en punching-ball de monsieur. Je l'avais vu au sommet de sa prétention, déçu et maintenant tendu. A ce rythme, il pourrait bien prendre l'habitude à me faire supporter ses humeurs. Et je ne suis pas le samu moi ! Alors pourquoi je m'en mêlais hein ? Parce qu'à cause de cette fichue émission, il était mon seul repère dans cet endroit menaçant, plein de choses froides et d'objets qui parlent - brrr, jamais ça chez moi, papa, si tu me lis ! S'il ne revenait pas à lui-même, qu'allais-je faire ? Péter mon câble.
Je lui offris une mine dégoûtée. Ce "s'il-te-plaît" encore... J'allais disserter sur sa signification d'un point de vue psychologique quand il m'arrêta net avec une pichnette sur le front. Je clignai des yeux en y ruant ma main gauche, le regardant les yeux grands. « Là, t'es contente ? » Ah bah oui, ravie même ! J'adore me prendre des pichnettes dans la figure, comment avait-il deviné ? J'avais l'intention de répliquer ces mêmes mots, passant sur la pauvreté de sa réplique. Mais il semblait que papa monstre venait de se réveiller et qu'il daignait enfin nous accorder son attention. Je me levais pour me courber enfin respectueusement - pas que je le respectais en tant que personne mais l'âge me forçait bien à agir de façon convenable. De plus, je me hâtais sûrement à le juger.

Je me rassis lentement alors que la discussion s'engageait entre les deux hommes. « Eh bien ? Une visite non annoncée ? Tu t'es enfin rendu à l'évidence ? Je suis fier de toi mon fils, il était temps que tu arrêtes de jouer le clown, à ton âge. » J'élevai un sourcil en regardant la figure paternelle de la famille Cho. Le clown ? Son âge ? De quoi parlait-il ? Maintenant que j'y repensais, j'ignorais toujours de quoi Eden devait en fait discuter avec son père. Voulait-il arrêter l'émission ? Et m'enfermer dans une de ces sinistres pièces ? Bon, peut-être pas avec la seconde suggestion mais... « C'est la jeune femme chez qui tu habites, n'est-ce pas ? C'est vous qui avez réussit à le raisonner mademoiselle ? Grand bien vous en fasse, j'imagine en plus qu'il n'est pas facile à vivre hein ? » Grand bien me fasse ? Comment ça ? Quel bien ça aurait pu me faire, hein ? Je me mordis l'intérieur de la lèvre en continuant quand même de l'écouter, sans expression. Pas facile à vivre ? Eden ? Oh il n'avait pas idée à quel point. Mais je n'avais aucune envie de lui faire part de mes impressions, des fois que je ne puisse plus m'arrêter et partage ma pensée aussi sur le paternel. Je servis alors juste un sourire poli. De toute façon, Evan n'avait pas envie de s'attarder sur le sujet et intervint. J'en fus tellement reconnaissante, que je manquai de dire ouf... « Papa, arrête c'est embarrassant là... » Pas qu'un peu. « C'est vrai, tu as raison. Nous avons un meeting avec notre client Japonais, tu reviens à point nommé Min Huan. Va t'habiller. »

. . . hé ?

Mes yeux manquèrent de sortir de leurs orbites. Pardon ? Un meeting ? Ma tête se tourna sèchement vers le plus jeune des Cho, espérant y voir aussi de l'incompréhension... Je n'y trouvai que de l'inconfort. Étais-je la seule dérangée par l'idée d'un soudain meeting ? Je n'allais quand même pas attendre que messieurs finissent leur petite réunion de rois du monde. Il en était strictement hors de question.
« Je ne suis pas là pour ça... » l'entendis-je finalement annoncer et un yes tonitruant résonna dans mon crâne. Tant que j'aurais juré que mes cheveux en avait été secoués tout le long. Seulement vu le regard que venait de lancer le géniteur de mon voisin de place, je déchantai légèrement. Non, totalement en fait. « Pourquoi es-tu là dans ce cas ? » aux dernières nouvelles c'était encore chez lui aussi, non ? Mes sourcils s'étaient placés haut sur mon front, marquant une surprise. Et n'aimant pas vraiment la tournure que ça prenait non plus. Mais avant tout ça même, ce qui me scotcha fut cet éternel manque de répartie qu'avait celui avec qui je me disputais sans cesse habituellement. Pas une seule remarque et pourtant, son père en méritait bien une ici et là. J'allais ouvrir la bouche, je le sentais...

« Tu...Tu ne proposes rien à boire à notre invitée ?  » je clignai des yeux une nouvelle fois. A boire ? Pourquoi ne pas me proposer la sortie ? Ou une arme ? Quitte à finir tueuse, je pouvais au moins tâcher d'en être une en série. Le père, le fils, quelques vigiles... oui, ce serait bien ça. Ce jour-là était parfait pour ces sombres ambitions...
Je basculai mon attention vers M. Cho alors, un grand sourire sur les lèvres. Puisqu'on ne me donnait qu'un verre comme arme, autant bien l'utiliser non ? « Ah oui, c'est vrai, je suis là ! J'ai terriblement soif, en plus. C'est que l'air par ici est plus... sec... Si vous avez un frais et bon coca, je ne dirai pas non. » Je m'agitai faussement de bonne foi. Mon visage tomba pourtant dans une expression plus soucieuse après quelques secondes. J'ignorai soigneusement les regards qu'on pouvait m'adresser. « J'oubliais... je n'y ai pas le droit en ce moment, cela me rend irritable... du jus alors ? Et toi, tu ne veux rien ? Je me demande vraiment... » mon visage laissa paraitre de faux airs préoccupés avant que je ne joigne ma main à ma bouche, choquée. « Je suis vraiment confuse, quelle malpolie je fais ! Je me permets d'exiger ainsi... Devrai-je préparer du thé pour nous trois plutôt ? J'insiste, pour excuser mon manque de manières. Ça vous mettra dans le bain japonais et rien de tel qu'une boisson chaude... en famille. » Et toujours sans un regard, je me levai et ne me gênai pas : je comptais nullement revenir ici donc peu importe ce que je faisais, non ? J'avais réussi quand même à laisser filer quelques sarcasmes plus ou moins perceptibles çà et là. Mais s'en seraient-ils seulement rendu compte ? Puis si ça retombait sur Eden, il ne me raterait pas non plus...

Je m'arrêtai net me rendant compte que j'ignorais complètement où j'allais et revenais toujours aussi permissive vers eux. « Ev-*kof*... Min Huan-goon, la cuisine est par où... s'il-te-plaît ? » j'ignorai royalement le maître des lieux un moment avant de lui adresser un regard on ne peut plus lucide. J'allais m'éclipser le temps qu'ils engagent la conversation épineuse, certes, mais je laissais entendre que je n'aimais pas ce qu'il se passait. Oh je doute que quiconque s'en préoccupait ici mais si je devais rester là encore, mon degré de dérangement allait rapidement monter. Entre celui qui décide tout pour tous et celui qui ne dit rien pour lui, c'était grand. J'osais imaginer que ma présence y était pour quelque-chose d'où cette liberté prise. Mais j'en doutais. Et ce n'était pas mon thé amer qui allait sauver la situation...

Cela faisait des jours que je me plaignais de la star capricieuse nommée Eden. Je commençais enfin à voir les choses autrement maintenant que j'étais face à, non plus un mais deux Cho. Deux énergumènes dotées du gène tête-enflée avec le défaut de fabrication capital qui fait que ça ne dégonfle jamais. Oui, je me disais qu'un seul Evan-goon, ce n'était pas si mal. C'était tout juste si 'Min Huan' ne brillait pas depuis que son père avait fait son apparition.
Je remarquai que mon humeur était déplorable. En même temps, me réveiller tôt pour être baladée comme un sac bien trop lourd et bien trop encombrant par un type qui ne l'apprécie guère - pas que je l’appréciais vraiment non plus, bref, il y avait mieux comme matinée espérée. Je n'avais aucune intention de laisser passer quoi que ce soit correctement avec la famille Cho. J'apprenais bien le genre de clan que c'était et m'imposait la même ligne de conduite avec eux qu'avec Min Huan : il fallait s'en ficher ou se faire comprendre. Je n'avais aucune envie d'être là et voir papa ours montrer des dents et frapper du poing dans une tentative maladroite (et je suis gentille) d'être une figure paternelle. Je connaissais ce comportement par cœur pour l'avoir connu chez chacun de mes géniteurs. Jusqu'à ce que mon père mûrisse et décide de me prendre avec lui. En bref, cela m'horripilait. Il n'y avait rien d'agréable à se retrouver au milieu d'une discussion familiale quand on en est pas. Alors quand la famille en question était bancale, quand elle me rappelait ce qui m'agaçait tant... Donc oui, je ne me sentais nullement gênée par mon comportement. Après, ce que Mr. Eden allait en dire, je n'avais guère loisir d'y penser.

« Mais qu'elle est charmante, si tu n'as pas soif, il suffit de le dire, tu sais, c'est pas compliqué... »

Ha ! Voilà qu'il se mettait à vouloir arrondir les angles. S'il savait, il se donnait du mal pour rien. J'étais lancée. Et à vrai dire, j'aurais voulu qu'il se préoccupe d'autre chose que ma politesse, mon humeur, ma charmante personnalité - n'est-ce pas - ou ma soif. Il était là pour affronter le dragon ? Eh bien qu'il le fasse et vite sinon j'allais faire prendre une douche à tout ce beau monde, fin du feu, fin du spectacle. Donc vous le devinez, j'ai poursuivi. Et ce n'est pas les regards insistants du père de mon fardeau qui m'arrêtèrent pour un peu. J'avais une idée précise... bon presque, de ce que j'allais faire. Pas assez précise pour que je ne sache où je mettais les pieds dans ce pâle labyrinthe, ce qui me força à retourner vers les deux hommes juste à temps pour entendre la fin de la tirade du plus vieux. Je m'efforçai d'ailleurs à ne pas écouter attentivement de quoi il était question pour rester le plus possible en-dehors de ça. J'estimais en avoir, pour l'instant, assez fait. Malgré moi j'accrochai néanmoins aux mots d'Eden, le mot 'maman' attirant toute mon attention. Ceci dit, je n'appris rien sauf que j'étais juste... moi. Merci pour ce scoop, et oui, monsieur le lord, j'ai bien reçu le message. L'appellation de Hyo Lin ici prenait probablement la place de tout un tas de qualificatifs polis à la sonorité très agréable et emprunte de gloire. Sauf le cran hein de toute évidence. On ne peut tout avoir.
Je ne me démontai pas, bien-sûr, et lui demandai naturellement où diable -c'était je trouve d'ordre- était la cuisine.

« Je vais venir avec toi, c'est préférable... » C'était... préférable, c'est bien ça ? Je me demandais vaguement pour qui. En aucun cas pour moi. Je sentais venir la petite crise entre deux actes arriver. Mais sans broncher et légère, je le laissai me guider comme si de rien était à destination. Et je ne fus pas plus complexée une fois à la cuisine, plus occupée à regarder ce qu'il y avait autour de moi qu'à me soucier de lui.

« Je peux savoir à quoi tu joues ?  » je le regardai en penchant la tête légèrement sur le côté et en fronçant un peu les sourcils. « A quoi je joue ? Je ne joue pas, je veux faire du thé... » dis-je en souriant enfin faussement. Je tournai sur moi-même pour faire face aux placards et ustensiles avec curiosité. « Quoi ? Tu n'es pas content ? Tu veux me faire part d'un truc ? Je croyais que tu étais là pour lui parler, non ? Je t'en laisse l'occasion, profites-en pour lui parler directement. Qu'on en finisse avec la politesse made in Cho Family. »

Je baladais mes doigts sur les choses en parlant quand un des... trucs - pardon mais j'ignorais comment appeler cette chose. Elle se mit bien évidemment à sonner et parler à tout va. Je grimaçai après un sursaut avant d'essayer de l'éteindre. « Bon sang, comment tu arrêtes ce truc ?! » m'étais-je finalement exclamée avec une pointe de panique et un zeste d'agacement. Je ne semblais même pas m'adresser à Eden en particulier, puisque je me retournai vers lui comme je n'avais jamais rien fait et que dans mon dos, aucune machine dont l'origine si pas diabolique était inconnue, braillait gaiement. « Enfin voilà, tu n'as jamais eu de soucis à me dire que j'étais chiante, que je cuisinais comme un pied ou que, dernière nouvelle, j'étais juste Hyo Lin. Breaking News. Je veux dire que expédier le dossier 'papa ours' ne devrait pas poser de problèmes, surtout que je ne suis pas dans tes pattes ! »

Et sur ce, j'hésitais à me retourner : avec cette machine qui faisait encore la fête... « Hem. Et maintenant,je vais faire ledit thé, promis, j'essaierai de rien bruler. » Sourire démoniaque de sortie, je m'avançai le poussant par le bras vers la porte de la cuisine. J'avais besoin de mon répit aussi, mince.

Je ne comprenais vraiment pas ce qu'il avait. Pour un peu, et en fait, je ne reconnaissais pratiquement pas le si grand Eden. De toute évidence, il n'était pas dans son élément ici. Encore une fois, je comprenais facilement pourquoi. Immédiatement, je m'assurais mentalement que je n'en avais absolument rien à faire d'où il se sentait bien ou pas. Il ne s'en soucierait pas pour moi, il fallait que j'arrête de me la jouer compatissante avec l'idiot qui m'avait trainée dans toute cette histoire et qui était bien content de pouvoir me faire des reproches. Il fallait dire que j'appuyais joyeusement sur la gâchette en attendant que le coup parte enfin.

« Je vais lui parler. Arrête de m'énerver. Et tu ne sais pas de quoi tu parles, alors... Alors fais juste ce thé oui. Ne le rate pas, tu veux ? Cela ne devrait pas trop être difficile. De l'eau chaude et un sachet, ne mets pas de sucre si tu te sens perdue. » Je le fusillai un court instant du regard avant de lui servir un sourire court et sarcastique : je ne savais quoi dire, il avait été si rapide que j'avais juste le temps de faire passer les informations qu'il envoyait. Et il espérait vraiment que j'allais arrêter de l'énerver ? Comment je faisais ça hein ? C'est lui qui avait besoin d'arrêter de s'énerver, enfin, pas maintenant évidemment. Non, là, il fallait qu'il hurle un bon coup et de préférence, pas sur moi. Je ne garantissai pas sa survie dans le cas contraire : une cuisine, de l'eau qui va bouillir, des couteaux, des verres, des casseroles... Bref, de quoi le tuer s'il fallait...

Je détestais vraiment être ici, chez les Cho. Et ce placard fou qui parlait rapidement ne changea pas mon avis à ce sujet. Mais pourquoi ? Pourquoi un placard devrait-il parler ? Mr Cho se sentait-il parfois si seul qu'il s'accordait une petite thérapie avec ses meubles ou c'était juste monnaie courante ici ? Non parce que la dernière fois que j'avais entendu parlé d'objets parlant, j'étais devant la télé, l'année dernière, durant la période de Noël, regardant une énième fois la Belle et la Bête. Si le Chandelier était drôle ami, surtout avec son charmant accent italien, je ne pensais pas l'accepter ici, dans la réalité, chez la famille Chokenstein. Un frisson me remonta l'échine en pensant à qui devrait tenir l'affreux rôle de la Bête. Pire, qui devait être Belle alors ? Décidant que c'était vraiment une mauvaise idée et représentation (car je n'étais pas Belle et il y avait deux Bêtes en plus, raison de plus pour ne pas être la jeune femme) ; je me rattrapais aux paroles du jeune homme. « Idiote, que veux-tu qu'un placard te fasse ? » Je levais le menton avant de marmonner. « Oh, un placard, rien mais un placard qui parle chez les Cho, on ne sait pas trop... » Pour un peu et ce placard avait certainement un mode "ninja", le faisant envoyer des shurikens çà et là...
Je secouais cette éventualité hors de ma tête, ne pouvant concevoir que cette famille ou les objets lui appartenant puissent me tuer, avoir raison de ma si terrible et petite personne. Alors je m’attelais à avoir au moins raison de leur patience en continuant mon œuvre formidable en espérant pouvoir vite sortir de là et respirer le bon air de la liberté. Le bon air de la normalité. Ou presque, de toute évidence, si je sortais, "Evan" ne serait pas bien loin aussi...

« Le dossier 'papa ours' pose problème, c'est ça le truc ! Sinon je ne me serai jamais déplacé, tu dois t'en douter non ? Et tu es toujours dans mes pattes d'une manière ou d'une autre ! C'est dingue ça quand même ! » Je grognais en tapant du pied un coup. Pas parce qu'il m'énervait ou que sa réplique m'atteignait, non, il m'avait déjà envoyé bien pire... et en fait, à bien réfléchir, il ne m'avait rien dit de méchant là... Étonnant. Bref, non, je tapais du pied car cette réponse ne signifiait qu'une chose : qu'on n'était pas prêts de partir d'ici. « C'est cette maison qui est dingue ! » répliquai-je à la volée à peine avait-il fini de parler. Je lui fis dos à nouveau pour me mettre à ma lourde tâche qu'était de faire un thé. Non pas que je ne savais pas faire, bien au contraire, je savais même très bien le servir, dans les règles de l'art. Non, ce qui était difficile était d'en servir un à ces deux hommes sans être tentée d'y glisser un peu de poison dedans. Ou du sel, histoire de voir leur tête ! Ha, j'aurais alors pu dire, comme une héroïne du peuple à la Robin des bois : "pour m'avoir rendue amère, l'addition sera salée !"
Je devenais dingue...

« Et je m'en cogne, brûle tout si ça peut te faire plaisir. » Je hochais finalement la tête joyeusement. « Ah bah tu vois, tu arrives à me dire des choses qui me font sourire ! » la voix chantante, je continuais de m'affairer. Je me demandais vaguement s'il m'avait entendue en partant aussi sèchement, avant de hausser au final les épaules. Malpoli, partir comme ça. Enfin je n'allais quand même pas me plaindre. Puis j'avais plus important pour m'occuper : ne pas appuyer sur un bouton quel qu'il soit, histoire de ne pas avoir à faire à une chaise exigeant que je m'assoie sur elle. Mince, cet appartement allait vraiment me rendre malade...
J'avais par miracle réussit à faire tout ça sans déclencher les foudres d'un appareil. Et sans glisser de poison dans l'eau... J'avais même trouvé tout ce dont j'avais besoin pour faire une éventuel service - ce qui me déplaisait fortement maintenant que j'y pensais... J'observais une dernière fois la cuisine, hésitant à déclencher des alarmes incendies. L'idée de voir l'eau jaillir ou entendre une sirène (et voir les pompiers débarquer, enfin de l'action) était séduisante. Mais je me rabattais sur un autre plan, moins... technique. Plateau entre les mains, je faisais le chemin inverse à celui de tout à l'heure pour rejoindre à nouveau la salle de vie... ou de mort, comme vous voulez, pour moi, le choix était fait.
Sans le vouloir vraiment, j'entendais les dernières paroles échangées des deux hommes. Un soupire passa mes lèvres sans que je le veuille réellement, je le regrettais vaguement avant de décider de m'épargner cet état d'âme.

Je restais silencieuse, servant simplement les tasse de thé et ce en pinçant fort mes lèvres. Soit pour éviter de dire quelque-chose, soit parce que ça m'énervait de faire tout d'un coup la serveuse... de service... Pendant un moment, j'observais ma main trembler sous l'envie d'envoyer la tasse dans la figure de mon hôte mais j'étais plus forte que je ne le pensais puisque je m'étais assise à nouveau sans me rendre coupable d'autre chose que de culot... et d'avoir renverser - dans tous les sens - toute ma frustration sur Eden. Certes, c'était mon plan... mais pas de manière aussi violente...
Visiblement, l'association d'Eden, moi et eau ne faisait guère bon ménage. Attendez, qu'est-ce que je raconte ?! La simple association d'Eden et moi était la formule chimique formant le bazar.

Mes yeux clignèrent quelques fois avant que je me dise 'Hyo Lin, faut dire quelque-chose'.

« Ah... bah... mince alors... » je grimaçai en m'entendant et levai un sourcil, mes yeux remontant sur le garçon à mes côtés. Attendez encore une fois. Etais-je désolée ? Je secouais la tête avant de me lever en frappant mes mains sur mes cuisses. « Eh bien il semblerait que la petite réunion familiale soit tombée à l'eau - sans mauvais jeu de mots. Je suis certaine que vous avez des choses plus importantes à penser que le beau costume tâché et mouillé de votre fils. Comme de plein de choses à son sujet. Haa, les affaires. Justement, Eden en a à régler figurez-vous. » je me tournai vers le concerné. « Notamment avec moi, oui, fait pas ton étonné. Tu sais quoi ? J'en ai assez de jouer la comédie. Tu n'es pas capable de prendre des décisions ? J'en prends pour toi ! Va la rejoindre ta petite poupée de porcelaine ! Oh et tu sais de qui je parle hein, madame fleurs ! DE TOUTE FAÇON JE SAVAIS QUE YONG JAE ÉTAIT MIEUX ! Dire que... Dire que je t'admirais ! Que j'avais envie de voir qui était Eden. Eh bien voilà, fais ce que tu veux, abandonne ta carrière, ce que tu es, devient un type cynique en costard froid et distant dont aucune femme ne voudra, ni même son fils ! » J'en rajoutai en lui vidant sa tasse à la figure avant de me tourner vers le père Cho furieusement. « Et vous. » Je soufflais pour me calmer et revêtis un sourire de nouveau, mais il était quelque peu brisé par une nervosité exagérée. « Ravie de savoir enfin de qui Cho Min Huan tient son cynisme commercial. Vous devriez moins vous en faire de ce côté-là, je vous assure, il nous leurre toutes. Si vous voulez bien m'excuser maintenant, bonne fin de journée à vous messieurs ! »

J'arrachai mon sac du divan comme une furie et parcourait les pièces, cherchant frénétiquement la sortie pour claquer la porte. Je restai un instant contre celle-ci espérant que monsieur allait comprendre qu'il devait vite me rejoindre. De toutes les manières, il n'allait pas rester tremper. Il allait au moins me hurler dessus en me demandant ce qu'il m'avait pris. C'est vrai d'ailleurs : que m'avait-il pris ? L'air ambiant Chomique (et non plus chimique) était mauvais pour mon système nerveux de toute évidence. J'avais vraiment pété un câble. « Ils... m'ont... rendue... complètement dingue... » j'en aurais presque pleuré si je n'étais pas aussi fière de ma performance...