La journée avait été longue. Éreintante. Comme c’était toujours le cas depuis que Tae Sun avait remis les clés du groupe entre les mains de leur batteur. Ce changement ne s’était pas fait sans douleur, au contraire et ce serait probablement difficile pendant plusieurs mois encore. Rien que d’y penser rendait cette journée encore plus épuisante si possible, ce qui n’était franchement pas le but recherché. Le pianiste ferme les yeux tout en laissant ses pensées vagabonder au même rythme que ses mains caressaient le clavier, espérant oublier un peu. Juste un peu. Ses longs doigts jouaient habilement avec les touches du piano classique qui se trouvait dans cette salle de musique présentement vide. Vide mis à part L’Ange, qui comme toujours, s’isolait autant que possible. Surtout après une longue journée à ne rien faire d’autre qu’être avec quatre garçons survoltés pour la plupart. Et dont trois d’entre eux le regardaient toujours avec une suspicion qui, même pour lui, était difficile à endurer sans céder sous la pression de leurs reproches silencieux. Si on le lui avait demandé, Jae Hyeok n’aurait jamais su dire ce qui le tourmentait de cette façon. C’était pourtant seulement la culpabilité.

Lorsque ce mot lui traverse l’esprit, le jeune homme ferme violemment le couvercle du piano dans un fracas de note qui s’éteint rapidement, ne rebondissant pas contre les murs. Pourquoi se sentirait-il coupable ? C’était ridicule. Sur ces sages pensées, Jae Hyeok relève la tête, quittant le piano des yeux pour le poser sur… la porte entrouverte sur un homme qu’il connaissait bien. Grand, même si pas plus que lui, mais avec une silhouette plus pleine que la sienne, les traits réguliers et bien dessinés, un style irréprochable… On pouvait dire que Lee Wei était un bel homme. Ce n’était pas un miracle qu’il fasse un malheur dans les rangs du fanclub de son boysband. Il y avait aussi le fait que Lee Wei dansait admirablement bien. Jae Hyeok n’était absolument pas connaisseur à ce sujet, mais il n’en avait pas besoin pour apprécier la façon dont l’homme bougeait. D’ailleurs, il lui inspirait souvent des pièces énergiques… Car oui, chaque personne avait un thème. Lorsqu’il rencontrait pour la première fois quelqu’un, Jae Hyeok avait immédiatement une mélodie en tête. Quelque chose de nouveau, d’inventé sur le pouce, comme on dirait.

Doucement, le pianiste relève le panneau pour caresser à nouveau les touches de ses longs doigts, tout en laissant s’échapper un petit soupir. Des pas se font entendre aux premières notes, puis la porte qui se referme derrière Lee Wei. Pendant une petite minute, il n’y a plus rien. Que la musique qu’il jouait. Peut-être finalement l’homme trop paternel était finalement parti. Mais non, parce que les pas se font à entendre une nouvelle fois. Nouveau soupir du côté de Jae Hyeok qui n’était pas certain de pouvoir endurer une conversation avec le parfois exaspérant Lee Wei présentement. Il ne fallait pas croire : L’Ange avait une grande admiration pour son ami. Mais, il n’en restait pas moins qu’il n’était pas d’un naturel bavard et qu’il n’était pas du tout branché sur le principe de l’échange. De fait, leurs conversations étaient souvent à sens unique. Bizarre que cette fois, le danseur garde le silence, attendant vraisemblablement que ce soit lui qui le brise en premier, d’ailleurs… De fait, Jae Hyeok tourne brièvement la tête vers Lee Wei, sans vraiment y penser. Il croise le regard d’obsidienne de son ami et gronde un peu, en revenant à son piano.

« Tu as appris de nouveaux trucs de psychologie pour enfants difficiles, Lee Wei ? », demande Jae Hyeok, sa voix grave et douce se faisant légèrement méprisante. « Qu’ai-je fait pour mériter ça ? »

Un rire bas et bref franchit le seuil de ses lèvres alors qu’il arrête finalement de s’activer sur les touches du piano. Il pose doucement ses mains sur ses cuisses, son regard restant néanmoins posé sur le clavier de l’instrument. Il prend une profonde inspiration, mélange d’odeur de produits nettoyants et du parfum musqué et masculin de Lee Wei. Lentement, Jae Hyeok tourne la tête vers son ami. Les banalités, ça ne le connaissait guère et de fait, il ne demande pas à l’homme s’il va bien, si sa journée avait été bonne ou s’il faisait beau à l’extérieur. Ce n’était… absolument pas son genre. Son regard se fait un peu las devant cette petite intrusion au milieu de sa séance musicale. Encore qu’il pouvait pardonner ça à Lee Wei justement parce que c’était lui.

« Tu as déjà joué du piano ? », demande soudainement Jae Hyeok, ne comprenant lui-même pas pourquoi il était soudainement motivé à discuter. Ce n’était toutefois pas de tout et de rien et Lee Wei le comprendrait assez rapidement. La musique était toujours un sujet sérieux pour L’Ange. « Pas besoin d’être doué pour jouer du piano. Bien sûr, il faut l’être si on veut que ce soit joli… voire si on veut produire quelque chose qui marquera les esprits. C’est le plus difficile. C’est ce qui fait un chef-d’œuvre. Mais jouer ne demande aucune habileté. Parfois, lorsque ça va mal, je joue de la batterie. C’est sûrement infâme… je n’ai aucun talent avec cet instrument. Un professionnel voudrait me frapper la tête sur le mur jusqu’à ce que je ne puisse plus jamais en jouer. Mais, ça fait du bien… »

Mais Lee Wei avait la danse, pas vrai ? Malgré tout, Jae Hyeok se pousse un peu, invitation muette pour le danseur à se poser avec lui sur le banc du piano.

Jae Hyeok reste doucement imperturbable alors que Lee Wei lui parle de son collègue de travail et ami. Néanmoins, un léger sourire étire très brièvement le coin de ses lèvres. Son regard, pour sa part, reste toutefois d’une neutralité désarmante. Le sourire de Lee Wei était néanmoins à l’image de son propriétaire : grand, lumineux et magnifique. Ça le réchauffait un peu, en quelque part et même s’il ne le laisserait pas voir, non pas par fierté mais plutôt parce que c’était ainsi qu’il était fait, L’Ange s’y plaisait. De toute façon, si ça n’avait pas été le cas, il n’aurait pas invité Lee Wei à se poser avec lui au piano. Pas qu’il soit de ces musiciens qui croient que leur instrument est l’objet de Dieu lui-même, au contraire. Sa philosophie était plutôt que tous devraient avoir l’opportunité de toucher un instrument si l’envie s’en faisait sentir. Mais, il n’approchait pas nécessairement tout le monde. Pas pour passer un petit moment privilégié avec eux comme il se plaisait à le faire avec Lee Wei sans exception.

Un nouveau sourire surprend les lèvres de Jae Hyeok alors que Lee Wei fait un pas vers l’arrière lorsqu’il lui demande s’il a déjà joué. Quelle drôle de réaction…

« Ça te fait peur ? », demande L’Ange, un sourcil arqué, légèrement moqueur. « Pourtant, tu as de longs doigts de pianiste. So cliché. »

Néanmoins, l’homme fini par s’asseoir près de Jae Hyeok, qui continue de caresser les touches en soupirant doucement. Jouer le détendait complètement et nul doute que lorsqu’il retournerait à sa chambre, c’est au violon qu’il se mettrait. Quoiqu’il en soit, même s’il s’assoie tout près de lui, Lee Wei ne semble pas décidé à jouer. Ça fait lever les yeux au plafond du musicien. Mais… s’il taclait, il risquait de se retrouver avec un défi de danse aux fesses ! Et même s’il ne danserait pas pour tout l’or du monde, il savait que l’UBKI était terrible quand il s’y mettait, ne lâchant pas le morceau facilement ! De fait, il allait user d’une toute autre stratégie que le défi ou la moquerie pour arriver à ses fins. Sauf que pas besoin de trop forcer… parce que soudainement, Lee Wei a envie d’apprendre. Bien… Mais avant d’y répondre, il revient sur un sujet qui, malgré tout, l’avait interpellé.

« Je sais. Je t’ai parfois vu danser. », murmure doucement Jae Hyeok, le regard posé sur les jolis traits réguliers de l’homme, songeur. « J’aimerais t’écrire quelque chose un jour. Pour que tu puisses y mettre des pas. Tu possèdes un don, toi aussi. »

C’était incontestable et s’il ne le cachait pas c’est que pour Jae Hyeok, c’était davantage une constatation qui tenait de faits avérés que d’un compliment. Il pose une main sur les notes aigues, l’autre venant glisser juste devant Lee Wei, sur les graves. Agitant doucement cette main, le pianiste reprend la parole.

« C’est ici que tu joueras, toi. D’abord d’une main. Puis de deux si tu le peux. », explique L’Ange. Il soulève ensuite sa main, histoire de laisser un peu d’espace entre celle-ci et le clavier du magnifique instrument. « Glisse ta main sous la mienne. Je vais te guider sur quatre notes. »

De sa main libre, presque comme s’il n’y pensait même pas, l’homme commence à jouer une mélodie lente, parce que nul besoin de faire quelque chose de trop rapide pour Lee Wei. Lorsque la main de l’autre rejoint la sienne, il guide ses doigts pour appuyer sur les touches. D’abord extrêmement lentement, puis en leur donnant un rythme semblable à son autre main. Les notes résonnent dans la pièce, mais ça ne ressemble guère plus qu’à un enchaînement banal. Mais plus pour longtemps… Si Lee Wei se prêtait un minimum au jeu.

« Tu peux le faire seul, maintenant. N’y pense pas. Fais le vide. Comme quand tu danses. », murmure L’Ange. Son regard revient chercher celui de Lee Wei et lorsqu’il l’accroche, le pianiste demande : « Tu danserais pendant que je joue ? »

C’était bête… mais il trouvait l’idée séduisante, présentement. Et en même temps, il avait conscient d’avoir une chance que bien des gens envieraient s’ils savaient. Pourtant, rares étaient ceux qui savaient qu’il connaissait bien le leader d’UBKI.

Non, bien sûr que non, ça ne faisait pas tout. Mais, ces longs doigts fins avaient toujours pour habitude d’attirer l’attention malgré tout. Combien de gens qui ne s’y connaissaient pas du tout en musique pouvaient faire la constatation à propos des fameux doigts de pianiste ? La vérité, c’est qu’ils étaient seulement plus aptes à atteindre facilement des touches distancées entre elles, rien de bien sorcier pour qui apprenait depuis son plus jeune âge et avait appris à avoir des mains souples malgré l’absence de ces fameuses mains de pianiste. Puis, Lee Wei semble on ne peut plus honoré à l’idée qu’il lui compose quelque chose, histoire qu’il y ajoute des pas avec toute la grâce qu’il possédait. Comme s’il ne réalisait pas que lui-même lui ferait un grand honneur de danser sur une de ses compositions. Néanmoins, L’Ange était beaucoup moins expansif que son ami sur ce genre de truc et de fait, un se contente tout d’abord d’un petit sourire en coin légèrement moqueur. Parfois, un mot semblait trop bien décrire cet homme : candide. On ne l’aurait pas cru avant de le voir.

Jae Hyeok effleure à nouveau les touches, songeur à propos du genre de mélodie qu’il pourrait composer pour l’occasion. Il le fera. Pas maintenant, bien sûr, parce que si l’improvisation était quelque chose qu’il savait faire, elle était néanmoins vouée à disparaître. Jae Hyeok fini par le bousculer un peu, histoire qu’il arrête de sourire comme un idiot.

« Arrête ça. C’est donnant-donnant. », marmonne le pianiste tout en poussant un petit soupir. « Ma musique contre ta danse. »

L’exercice débute… Mais Lee Wei ne semble pas très confortable. Ça surprend un peu Jae Hyeok, c’est vrai, parce qu’au-delà de l’aspect un peu gênant de la chose, il n’en restait pas moins que son ami devait avoir l’habitude d’au moins voir des instruments. Ce n’était pas un monde complètement à part. Pas tout à fait, du moins. Un compliment fuse au milieu des faux pas –façon de parler, naturellement !– de Lee Wei et L’Ange se contente d’hausser les épaules. Il jouait depuis tellement longtemps… plus encore que le violon, qu’il avait pourtant commencé tout jeune. D’ailleurs à ce sujet, Jae Hyeok commente vaguement, bien qu’il n’ait guère envie de s’y attarder.

« Quand tu as l’obligation de faire au minimum trois heures de piano par jour depuis que tu as trois ou quatre ans, crois-moi, il n’y a que peu de mérite à jouer ainsi. Le mérite est dans le sentiment qu’on réussi à mettre dans chaque interprétation. », murmure lentement Jae Hyeok tout en continuant à guider sagement la main de son ami sur le clavier bicolore. « Et la composition… »

C’est peut-être pour ça qu’elle était si chère à ses yeux, sa damnée composition. Quoiqu’il en soit, il semblerait que finalement Lee Wei ait décidé d’utiliser sa proposition de danse comme prétexte pour quitter le confort du banc de piano. Jae Hyeok a un petit « hm » légèrement désapprobateur, mais n’insiste pas. De toute façon, c’était loin d’être dans ses habitudes. Il observe plutôt cette longue et puissante silhouette s’étirer dans tous les sens comme si de rien n’était, là où lui-même aurait probablement déjà été courbaturé. Décidément, ils n’évoluaient vraiment pas de la même façon… Un léger soupir franchit la barrière des lèvres du pianiste avant même qu’il ne puisse le retenir. Lee Wei était l’exemple le plus simple de la beauté à l’état pur et ça l’inspirait. Ainsi, l’improvisation à double sens devrait se dérouler dans une bonne atmosphère.

« Toi aussi, tu as des facilités. », assure Jae Hyeok, sincère. « Je ne comprends pas pourquoi tu t’enthousiasme tant devant les miennes, de fait. »

Mais bon… vu sa personnalité, Lee Wei serait toujours un pur mystère pour un homme frigide comme Angel, probablement… De fait, il penche à nouveau la tête pour observer son clavier, silencieux pendant quelques minutes, choisissant mentalement ce qu’il pourrait jouer. Tout dépendait aussi du style de danse qu’il voulait voir Lee Wei interpréter. Il n’avait pas envie de quelque chose à la mode, qui bouge trop. Quelque chose de plus classique, peut-être… et de fait, sur ces pensées, il commence à jouer un air qui prêtait davantage à la danse classique qu’à toute autre chose.

« Quelles études as-tu fait ? En danse ? », demande soudainement Jae Hyeok. Il ne parlait jamais en jouant… mais il avait envie d’observer Lee Wei danser en sachant un peu à quoi s’attendre. Et pas en se basant sur ce qu’il avait vu avec son groupe, qui suivait davantage la mode qu’autre chose. « Tu as le corps d’un danseur classique… »

Ou c’était juste un fantasme sorti de nulle part. Peut-être…

Presque avec précaution, Jae Hyeok arque un sourcil sans lâcher Lee Wei du regard. Ce garçon était vraiment trop gentil. C’était un miracle qu’il ne se soit pas fait bouffer tout rond dans ce monde de requin. Et le compositeur hésitait à savoir s’il était impressionné ou méprisant. Mais c’était Lee Wei… et d’une façon ou d’une autre, l’homme finissait toujours par le mettre dans sa poche, que ce soit volontaire ou pas. Nul doute que cet homme savait lui parler. Il lui rappelait sans cesse pourquoi leur amitié lui était chère. Et c’est donc la raison pour laquelle Jae Hyeok n’a pas besoin de plus d’inspiration pour que ses longs doigts commencent à courir sur le clavier du piano, jouant des touches noires et blanches comme s’il avait appris par cœur cette pièce qui tenait pourtant davantage de l’improvisation. Mais peu importe la façon dont il tentait de le voir, il n’en restait pas moins que Lee Wei avait quelque chose de très simplet, du point de vue de Jae Hyeok !

Il le prouve encore une fois à parler de don là où il y avait plutôt des heures et des heures de dur labeur. Oh c’est vrai… il fallait naître avec quelque chose. Mais, ça n’avait rien du talent. C’était plutôt la passion. La passion pour l’art, celle qui ne s’apprenait pas, mais qui se vivait intensément à chaque jour.

« Nous ne sommes pas du même avis. », convient Jae Hyeok sans élever la voix et sans manifester un quelconque mécontentement, se contentant de l’annoncer de sa même voix neutre et basse qu’à l’habitude. « Mais il serait difficile pour un homme comme moi de parler de passion d’une façon crédible. Aussi, je vais m’abstenir de le faire. »

Car lorsqu’il s’exprimait oralement, rien en lui ne semblait être emprunt à une quelconque passion. Son ton morne, son air endormi… Pourtant, Jae Hyeok était un passionné comme on n’en faisait guère plus. Oh, il savait que Lee Wei avait la sensibilité de l’écouter et de le croire sur paroles, mais il n’en restait pas moins que c’était un débat qu’il n’aimait pas aborder, tout simplement. D’ailleurs, comme pour faire écho à ses paroles, l’homme s’exclame quelque chose à propos de son côté très impressionnable… ce qui aurait pu être une blague, mais qui semblait plutôt être la stricte vérité aux oreilles de Jae Hyeok ! Puis, l’homme lui parle de danse classique. De ce que ses parents lui avaient presque interdit de faire, sans réussir pour autant à contenir l’oiseau dans sa cage dorée. Puis des cours de danse plus moderne… Mais tout ça, il n’aurait même pas eu besoin de le dire. Son corps, long, fin et élancé, parlait pour lui… et c’était magnifique.

Jae Hyeok quittait le moins possible le bel homme du regard, ses doigts s’aventurant presque machinalement sur les touches de son instrument. La vision qu’il offrait était grandiose et nul doute qu’à eux deux, ils auraient pu monter de grands spectacles. Ou peut-être était-ce seulement l’euphorie du moment qui faisait voir à Jae Hyeok ce qu’il avait envie de voir… La danse s’arrête et L’Ange, montrant à nouveau ce côté passionné que seuls les plus habiles pouvaient déceler, ferme le couvercle recouvrant les touches avant même que celles-ci n’aient finies de résonner dans la pièce, presque comme s’il voulait enfermer les notes restantes à l’intérieur de l’instrument. Le moment avait été d’une intense beauté, comme il n’en avait plus vu depuis… Depuis le départ de Tae Sun. Troublé, Jae Hyeok se relève, se drapant à nouveau dans son voile de froideur.

« Bien. », déclare-t-il seulement de sa voix lente et profonde.

Il observe un moment ses mains, tendues devant lui, longues et blanches. Puis, son regard vient s’accrocher au corps d’une irréprochable perfection de Lee Wei. Il observe ainsi son ami pendant un long moment, non pas d’une façon perverse, ni même avec du désir, mais seulement pour contempler l’art dans toute sa splendeur. Et finalement, il en revient au doux visage régulier.

« En effet, c’était plaisant. », convient le pianiste, lèvres à demi pincées. « Merci, Lee Wei. »

Son regard glisse sur un miroir et un rire bref et amer franchit le seuil de ses lèvres à la vue de sa propre silhouette. Oh non, ils n’étaient pas du tout faits sur le même modèle. Lui était maigre, pâle, le dos légèrement vouté à avoir trop joué de piano. Des heures durant penché non seulement sur son clavier, mais aussi sur des feuilles passant du blanc au noir en trop peu de temps lui avait légèrement tordu la colonne vertébrale. Peut-être finira-t-il ses jours avec une sciatique, allez savoir. Mais ça lui importait peu pour l’heure.

« Tu as bien fait de ne pas te laisser enchaîner par tes parents. », convient finalement Jae Hyeok. « Ils sont souvent guidés par l’amour… mais cet amour peut être le poison des plus grandes ambitions. Ce qu’ils ne désirent pas, bien sûr… Mais essaie de raisonner un parent, pour voir. »

Un petit soupir franchit les lèvres du compositeur alors que finalement, il adresse à son ami un demi-sourire, les seuls qu’ils semblaient avoir, en plus des rictus.

« Et tout va bien dans ton groupe ? », demande soudainement Jae Hyeok. Le changement de sujet brusque pouvait être étonnant, mais il tentait seulement d’être intéressé… ou sociable. Ou les deux. C’était un vrai mystère, même pour lui. « Ton partenaire va bien ? Jae Hyun. »

Oui, Lee Wei en avait parlé un peu plus tôt. Mais celui-là, il ne le connaissait que peu et donc, avait tendance à oublier son prénom. L’Ange n’était pas exactement le genre d’homme à s’intéresser aux groupes d’idoles malgré tout !

Jae Hyeok arque un sourcil alors que Lee Wei lui assure qu’ils sont du même avis au sujet de ses airs si peu passionnés. Il y a un petit moment de blanc, tout de même, avant qu’il ne fasse la grimace quelques secondes. Pourtant, ses lèvres s’étirent rapidement en un petit sourire. Il l’avait pris comme un gentil tacle, même s’il savait que malgré tout, Lee Wei et lui pensaient la même chose à ce sujet pour vrai. Il incline ensuite brièvement la tête lorsque l’homme le remercie, ne souhaitant guère s’étendre sur le sujet, mais prenant la réflexion à sa juste valeur. Un instant de silence suit ce mouvement, mais pour Jae Hyeok, le silence n’est jamais déplaisant et comme s’il avait à présent zappé Lee Wei, ses doigts recommencent à parcourir les touches de son piano, son regard fermé pour mieux apprécier la musique qui résonnait dans la salle d’entraînement.

Il ne répond d’ailleurs pas immédiatement lorsque Lee Wei lui parle de ses efforts qui, au final, ne furent pas vain. Il laisse passer quelques secondes sous la forme de notes musicales avant de finalement rouvrir son regard endormi pour le poser sur son ami.

« Il suffit de te regarder danser pour savoir que tu n’as pas fait tout ça pour rien. », assure finalement le pianiste tout en observant Lee Wei dans sa totalité. Son regard glisse lentement sur le longue silhouette souple, une silhouette de danseur, puis en revient au regard toujours trop doux. « Tu n’as besoin de l’approbation de personne. Tu es un danseur et personne ne peut te le retirer. »

Il caresse encore un moment les touches de son instrument pendant que Lee Wei reprend la parole à propos de son partenaire d’UBKi. Il écoute, attentif même si on n’aurait pas dit. Et finalement, refermant le panneau du clavier alors que les dernières notes résonnent encore dans l’atmosphère léger de la pièce, il se relève. Il fait quelques pas de côté, étirant brièvement sa longue silhouette mince avant de s’arrêter devant Lee Wei.

« Intéressant. Vous allez faire un mini-album, un single ou un album complet cette fois ? », demande-t-il, réellement intéressé même si comme d’habitude, peu d’émotions se dégageaient de son attitude. « Vos fans doivent se languir. Une annonce officielle a-t-elle déjà été faite ou suis-je dans le secret des dieux ? »

Il a un petit sourire bref pour clore ses paroles avant de finalement se détourner. Alors qu’il est dos à Lee Wei, son regard s’assombrit. Il relève les yeux, croisant celui de son ami dans une des glaces longeant les murs de la pièce. Mauvaise question, sûrement... Ces derniers temps, le groupe tournait un peu trop autour de Tae Sun, dans sa tête. Et ça ne faisait pas bon ménage avec ses envies...

« Ils vont bien. Nous avons un nouveau chanteur. », murmure seulement Jae Hyeok, lèvres un peu pincées. « Il fait le travail, je suppose... Nous irons donc bientôt en studio à notre tour, il semblerait. »

Même s’il restait plusieurs choses à arranger, malheureusement... Qui allait écrire puisqu’il ne pouvait plus qu’arranger des mélodies ? Les mots ne sortaient pas. Pas pour Hyun Hee. Il écrivait toujours autant, mais ne voulait plus rien donner à Black Paradise. Tout était pour Tae Sun... Un petit soupir franchit le seuil de ses lèvres avant que finalement, ses pas ne le mènent machinalement à la porte close. Il l’ouvre, la poussant doucement du bout des doigts tout en tournant la tête vers Lee Wei.

« Bonne journée pour ce qui en reste, Lee Wei. », murmure l’homme, ayant décidé sur un coup de tête de mettre fin à cette conversation. « Ce fut agréable. »

Et sur ce, le musicien si particuliers sort finalement de la pièce, ses pas lents le menant droit vers le dortoir de Black Paradise.