J’aime faire des insomnies. Sérieux, je ne vous l’ai pas dit ? C’est sûrement un de mes petits plaisirs. Me retourner dans mon lit sans pouvoir fermer l’œil et sans trouver le sommeil. Avoir recours à tous les procédés possibles et imaginaux pour que Morphée daigne enfin venir caresser mes paupières résolument ouvertes. C’est vraiment le comble pour quelqu’un pour moi qui aime dormir. Honnêtement, entre ça et être réveillé par le gamin Godzilla, je ne saurai dire ce que je préfère. D’ailleurs, parlons-en de celui-là ! Godzilla. Gabriel. Le mioche de Lee Jin. Mon « frère ». C’est bon, vous le remettez ? Ce gamin, non content de me réveiller avec sa légèreté dinosauresque quand il descend les escaliers le matin, me fait maintenant faire des insomnies. Parce que oui, je sais que je ne dois pas me leurrer ; si je n’arrive pas à trouver le sommeil, c’est bel et bien à cause de lui. Je suis inquiet, je suppose. Pas que je sois spécialement fervent des repas de « famille » en sa compagnie, mais disons que j’ai commencé à m’y habituer… Alors forcément, quand j’ai constaté son absence hier soir, j’ai commencé à me poser des questions. Je suis resté dans la salle de séjour relativement tard, songeant au savon que j’allai lui mettre en le voyant débouler, la bouche en cœur. Mais Gabriel n’a pas daigné montrer ne serait-ce qu’un petit orteil, alors qu’il était censé être présent, comme toujours. Vaincu, j’ai battu retraite dans ma chambre en espérant pouvoir l’engueuler demain matin. Ca par contre, oui, c’est un vrai plaisir d’engueuler ce gosse.

Les raisons sont nombreuses. Non seulement, je ne peux pas le voir en peinture. Les raisons attisant une telle amertume sont nombreuses, mais la principale demeure sa ressemblance avec son père. Chose qui ne fait que remuer le couteau dans une plaie encore béante… Et puis, il y a autre chose. Certes, je ne le supporte pas, et mon plus grand rêve est de le jeter à la porte à coups de pied aux fesses, mais j’ai fait une promesse à notre paternelle. Celle de veiller sur ses deux fils, donc Gabriel et Jun Hee. Si pour ce dernier, je n’ai aucun mal, mon agacement envers le fils légitime de Lee Jin me bloque. Mais bon, une promesse est une promesse, j’y serai donc fidèle. Résultat des courses ; présentement, je suis en train de baliser pour quelqu’un que je ne supporte pas. Et même si je lui voue une haine quasiment cordiale, je m’en voudrais sincèrement s’il arrivait quelque chose à mon cadet. Pas par réel attachement, mais bien davantage par souci d’être fidèle à cette promesse. Et oui, je suis plus attaché à un serment fait à mon beau-père, plus qu’à la personne qu’il concerne… Démonstration parfaite de l’attachement que je vouais à ce paternel de substitution. Et puis bon, l’un dans l’autre, le résultat est le même. Que demande le peuple ?

Bref. Je suis actuellement étalé sur mon lit, un bouquin à la main. Le pire dans l’insomnie, c’est qu’on n’est jamais véritablement éveillé. Je sens mes paupières lourdes, mais je sais pertinemment que si j’éteins la lumière et essaye de fermer les yeux, ces derniers demeureront ouverts. Le supplice. Je m’ennuie et ne sais que faire, mais c’est soudainement que j’entends la porte d’entrée claquer. J’ai un petit coup d’œil à mon réveil qui affiche une heure bien matinale, et songe qu’il n’y a qu’un gars pour entrer avec un tel manque de discrétion à une telle heure. Calmement, je dépose mon ouvrage sur ma table de chevet, enfile un pyjama pour éviter de descendre dans le séjour en boxer, et sors tout aussi calmement de mon antre pour descendre les escaliers en silence. Pas de lumière, mais le bruit significatif de Gabriel en train de manger m’attire vers la cuisine. Je le distingue, dans le noir, dévorant un hamburger, devant plusieurs emballages et divers tasses en carton au logo rouge et jaune. Sans rien dire, j’allume la lumière et le fusille du regard. « C’est à cette heure-là que tu rentres ? » dis-je d’une voix glaciale tandis qu’il manque de s’étouffer. Je m’approche, lève une main qui vient s’abattre sur l’arrière de sa tête aux cheveux trempés, signe de mon énervement. J’ajoute d’une voix grondante ; « Crétin ! » Et présentement, j’ai vraiment l’impression d’être un père qui sermonne son gosse.

Je l’observe. Il semble frigorifié et exténué, et a les cheveux humides. Je soupire de dédain en le toisant du regard avant de m’asseoir à côté de lui. Mes coudes viennent se poser sur la table, mes poings serrés se posent devant mes lèvres tandis que je le fixe toujours d’un regard sombre… « Qu’est-ce que c’est que cet état ? T’es assez débile pour aller faire une baignade nocturne en cette saison, ou quoi ? »

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Croyez-moi, j’ai la soudaine envie de le rassurer. En effet, je ne me préoccupe pas vraiment de son état. En même temps, ce n’était pas comme s’il était en loque humaine, ensanglanté de la tête aux pieds, menaçant de mourir dans les prochaines secondes. Dans une telle situation, oui, je pourrais éventuellement envisager de me faire du mouron pour lui. Cruel ? Quand il est question de personne que je déteste, absolument. A supposer que Gabriel ait été dans mon estime, les choses auraient sûrement été différentes. Je suis quelqu’un de protecteur et consciencieux à l’égard des autres du moment que je les porte dans mon cœur. Manque de chance, Gabriel ne fait pas partie de ces personnes-là… De là, à dire qu’il est la personne que je déteste le plus en ce monde, peut-être pas. Mais je ne peux pas nier cette animosité et cette jalousie que j’éprouve à son égard. Donc oui, je me contrefous qu’il soit en train de greloter comme un petit vieux. Mon envie de l’engueuler pour son manque de respect à mon égard et à celui de Jun Hee est bien trop présente pour être niée. Et le fait qu’il m’annonce cette vérité cinglante m’agace d’autant plus ; suis aussi transparent dans mes intentions ? Oui, je rêve de jeter ce gosse dehors. Et le dit môme l’a visiblement remarqué… Et ça m’énerve prodigieusement ! Néanmoins, je ne suis pas du genre à être de mauvaise foi, aussi ne le nierai-je pas. Bien loin de là, je reste silencieux. Difficile de calmer son côté sanguin quand on est impulsif comme je le suis. Pourtant, je me contente d’inspirer et d’expirer calmement, le fixant d’un regard noir, tandis qu’il continuer à engloutir bruyamment ses hamburgers… Pas que j’ai l’intention de me faire plus doux, loin de là. Mais mon vécu m’a prouvé que la violence n’est pas nécessairement la bonne solution. Pris dans ce conflit interne, je me retiens pour éviter de lui en coller une, songeant qu’agir avec froideur et mépris serait certainement bien plus instructif pour ce gosse qui me provoque à nouveau. Certes, je ne suis pas son père, mais jusqu’à preuve du contraire je suis chef de cette pseudo-famille. Non, car pour moi ce n’est pas ça une famille. J’ai su ce que c’était, certes pendant pas longtemps, mais j’ai pris conscience que ce n’était pas cette ambiance tendue et exécrable à longueur de journée, malgré ce que j’avais cru comprendre dans mes jeunes années. Jusqu’à l’arrivée de Lee Jin, et mon rapprochement de Jun Hee. Bref. Okay, je ne suis pas son père, mais le respect dans tout ça ? J’aime pas qu’on me prenne pour un neuneu, et le manque de respect est certainement ce qui m’énerve le plus. Et visiblement, le jeune homme semble ne pas faire le rapport de cause à effet entre son absence et mon insomnie. Une fois encore, c’est juste dû à ce serment… Après tout, Gabriel est en âge de rentrer à l’heure qu’il veut. Mais bon, quand on aime on ne compte pas, et vu que j’adore sonner les cloches à cette triple-buse, je ne vais pas m’en priver.

Pourtant, il ne m’en laisse pas le temps. Toujours frigorifié, il m’annonce qu’il va prendre une douche pour se réchauffer. Je le fixe furieusement de s’échapper de la sorte, mais je sais qu’il est inutile que je me lève pour le poursuivre. Le fait est que j’entends ses pas précipités, sûrement pour éviter que je le rattrape. J’hésite certes à l’attendre devant la porte de la salle de bains, mais à voir les mets qu’il a ramenés tantôt trôner sur la table, je me dis qu’il redescendra forcément pour finir d’engloutir tout ça. En attendant qu’il ne finisse de prendre sa douche, je vais quant à moi me préparer un café, et chercher un paquet de cigarettes dans ma chambre. Récupérant au passage un petit récipient pour réceptionner les cendres, je redescends ensuite dans la cuisine. Je dépose cet attirail pour aller récupérer une tasse rempli du liquide brûlant, que je vais boire une fois assis à ma place initiale, un bâton de nicotine incandescent aux lèvres. Mine de rien, la seule présence de cette substance le long de mon gosier suffit à me détendre et me calmer pour que j’évite de latter le gosse quand il redescendra. D’ailleurs, ce dernier ne tarde pas à descendre à nouveau – dans un divin boucan, évidement – et entrer dans la cuisine, me retrouvant dans la même position que précédemment, à quelques détails près. Je le fixe à nouveau d’un regard peu engageant, tirant une latte sur ma cigarette, avant de laisser une petite gerbe de fumée s’élever de mes lèvres. Il ne va pas s’en sortir en si bon compte, j’ai encore mon mot à dire malgré mon précédent silence.

« Pas de compte à me rendre, donc ? » dis-je simplement sur un timbre de voix froid. « T’as pas pigé que c’était qu’une question de respect ? Tu fais ce que tu veux, mais t’es tellement égoïste que t’as pas saisi que Jun Hee pouvait se faire du souci, si ce n’était pas mon cas à moi ? » A quoi bon nier ? Il est assez grand pour se débrouiller seul. De là à oublier ses proches, faut pas déconner non plus. Si je ne peux pas le supporter, je sais que ce n’est pas nécessairement le cas de mon autre frère. « Et vu que t’as l’air d’avoir un tant soit peu d’attention pour moi ; non, j’arrivais pas dormir. » De là, à reconnaître que c’était sa faute ? Hors de question ! Ça serait admettre que je me fais du souci pour lui, ce qui n’est pas le cas. Bon, de façon indirecte, c’est ça… Mais on y est pas tout à fait. « Quoi que tu puisses en dire, tant que t’habiteras dans cette baraque, et que j’y serai aussi, t’auras toujours des comptes à me rendre du moment que t’es en tort. On a même essayé de t’appeler, tu répondais pas ! »

J’implore le maître zen. Ouvres tes chakras, Young Jae, ouvre tes chakras. Respires un bon coup et ne t’énerves pas face à ce gosse qui te tape sur le système. Ce qui est d’autant plus agaçant ? C’est qu’il garde un ton parfaitement calme. Raison de plus pour que je ne m’énerve pas, et que je garde mon self-control aussi. Ça serait quand même la loose que je crie alors que Gabriel garde son calme non ? C’est clairement dans ce genre de situation que je bénis l’éducation que Lee Jin m’a prodigué. Sans ça, je l’aurais déjà frappé. Bon d’accord, j’avoue clairement que je me retiens, mais soit. Au moins, je sais freiner ces tendances un tantinet violentes. Frapper n’est pas la solution. En revanche, provoquer reste un petit plaisir personnel. Aussi, quand il me répond que je pourrais au moins ouvrir la fenêtre quand je fume l’intérieur, j’écrase ma cigarette dans le cendrier avant de me lever. « Tu as raison. Excuses moi. » Dis-je, parfaitement calme. Je me dirige alors vers la fenêtre à quelques mètres de là, l’ouvre grandement et dépose le petit récipient sur le rebord pour éviter d’empester davantage la pièce avec ce cadavre de tabac. Un bon courant d’air pénètre par l’ouverture, et le froid se fait instantanément sentir. Pourtant, je ne ferme pas le carreau ; après tout, ce n’est pas moi qui en ait marre de me les peler, et encore moins qui ait les cheveux humides suite à une douche. Maigre vengeance.

Le reste de son discours est tout aussi étonnant. Son ton calme, un « désolé » qui vient ponctuer le début de sa phrase… Ça sonne comme des excuses, ça ressemble à des excuses... Mais je ne m’illusionne pas. Je feins d’accepter ses paroles en silence, acquiesçant. J’ai parfaitement conscience qu’il n’est pas sincère, et j’ai beau être naïf de temps à autres, je reste parfaitement lucide en l’occurrence. Est-ce parce que je ne peux pas le supporter ? Peut-être, du coup j’ai tendance à être plus méfiant. J’attrape ma tasse de café et en bois quelques gorgées, tout en ayant un petit frisson à cause du froid qui gagne la pièce. En tout cas, je me félicite de ne pas avoir cru à ces pseudos excuses. Parce que je vous assure que ses autres paroles atteignent des sommets. J’ai droit à un récit de sa soirée, qui visiblement avait pourrie. Bel euphémisme que celui-ci. Entre une escapade dans un club de transsexuels, une course poursuite et une chute dans le fleuve Han qui lui a valu la perte de son téléphone, il m’annonce de but en blanc que tout ceci ne serait pas arrivé si moi et Jun Hee l’avions attendu. La cerise sur le gâteau ? Il préférerait encore revivre tout ça plutôt que d’avoir ce face à face avec moi. Je n’aurais pas soupçonné Godzilla d’avoir autant d’humour. Comme quoi, quand on veut, on peut ! D’accord, peut-être que nous aurions dû l’attendre pour l’amener ici. Mais en attendant, je n’estime pas être responsable de ce qui lui est arrivé ce soir. Quiconque ne connaît pas Séoul n’atterrit pas forcément dans un club de drag-queens, ne se fait pas non plus poursuivre par des chiens enragés, et ne fait pas une baignade nocturne à son insu. Faut arrêter de déconner, on n’est pas dans Very Bad Trip, même si le récit de mon vis-à-vis serait digne d’un futur scénario pour la saga. J’inspire donc un bon coup pour éviter de crier. « Fuck logic. C’est vrai que tous les nouveaux arrivants à Séoul finissent nécessairement dans ce même concours de circonstance. Arrêtes de te foutre de moi et d’essayer de nous mettre tes tords sur le dos ! J’imagine que ça a pas été drôle. Mais faut arrêter de déconner, c’est pas ne ma faute, ni même celle de Jun Hee si t’as atterri là-dedans ! » dis-je d’une voix qui monte crescendo malgré moi. « Non mais sérieux ! Okay, on aurait peut-être du t’attendre ou te faire visiter la ville, c’est vrai, mais si tu te fous dans des situations pourries, t’assumes et tu rejettes pas sur les autres. On atterrit pas dans ce genre de lieu à son insu total, à moins que tu me dises que t’aies été drogué et que tu te sois réveillé là-bas. » Non, attention. Je ne sous-entends pas que Gabriel ait des lubies étranges. Mais bordel ! Il est assez grand pour pas suivre n’importe que, non ? Puis désolé, j’ai beau avoir promis à son paternel de veiller sur ses fils, je n’ai pas fait le serment de les stalker vingt-quatre heures sur cingt-quatre.

La blague continue. Je le traite comme une boniche ? Stop ! Il a tout juste terminé de parler que je me dois de répliquer ; « Cohabitation, justement ! Et sérieux, je ne pense pas qu’on te demande grand-chose à part le ménage. Chacun son truc. Et si pour la bouffe t’es pas content, fais entendre ta voix. Et j’te signale que t’as pas été nécessairement très agréable non plus. » Une fois cette phrase terminée, j’ai un petit bâillement. Je prends une nouvelle gorgée de café avant de relever un regard sombre vers le jeune homme. Croyez-moi, cette situation me fatigue… Mais c’est plus fort que moi !

J’admets que ma maturité peut parfois laisser à désirer. Comme en l’instant présent. Mais le fait que je le sermonne n’est-il pas légitime ? Tout du moins, c’est ce dont j’essaye de me convaincre. J’ai beau être un homme, et essayer d’agir tel quel, je sais bien que je suis bourré d’imperfections et de défauts. Au mois suis-je assez lucide pour le reconnaître… Mais de là, à l’avouer à haute voix et présenter des excuses à Gabriel, c’est tout autre chose. J’essaye juste de penser que je suis bien dans mon rôle. Je suis censé être un grand-frère, il est donc normal que je réprimande mes cadets quand c’est chose nécessaire. Comme maintenant. De là, à me montrer aussi exécrable… Je sais que je ne suis plus dans ce rôle supposé. Que je laisse mes sentiments prendre le dessus. Et j’ai beau être quelqu’un de froid et d’un naturel assez calme depuis que j’ai appris à me modérer, je ne peux pas tout nier et intérioriser. Que voulez-vous ? Quand on n’apprécie pas quelqu’un, c’est comme ça. Point barre. Je ne suis pas non plus trop fermé aux autres… Généralement, j’essaye de laisser une chance aux autres de prouver leur valeur, à moins qu’ils aient commis un acte irréparable. En revanche, je dois reconnaître que je n’ai pas tendu cette perche à Gabriel. Il m’a suffi d’apprendre qu’il était le fils légitime de Lee Jin pour que je me renferme hermétiquement. J’ai beau dire que je le déteste et que je refuse d’avoir affaire à lui, il m’arrive d’être pris de quelques regrets ; il ne m’a rien fait, après tout. Et son ironie sur le fait que j’assure en tant que grand frère n’aide pas, forcément… J’ai donc un soupir à tout de beau discours, tandis que mon regard, toujours aussi froid, se pose sur le décor. Il a beau m’énerver et me donner envie de battre en retraite, j’essaye tout de même de me calmer pour pouvoir tenir un discours peut-être moins agressif. Mais bon sang… C’est tellement difficile de passer outre ses préjugés, et ses sentiments primaires et primitifs ! J’inspire pour remettre un peu d’ordre dans mes pensées, et au moins essayer de me calmer. Si bien évidemment, j’ai conscience que je ne peux pas me forcer à être amical, je peux éventuellement être plus… Neutre ? Essayer de trouver un terrain d’entente avec Gabriel pour éviter de me prendre la tête avec lui dès que l’on se voit. Ca fait déjà plusieurs semaines que cette mascarade dure. J’avoue prendre un malin plaisir à l’engueuler, mais bonjour l’ambiance à la maison quoi… Donc je peux essayer de modérer mon animosité, mais c’est tout. Tout du moins, dans un premier temps.

Perdu dans ces considérations, je suis ramené à la réalité quand Gabriel glisse un calepin vers moi. E jette un coup d’œil à la feuille, sur laquelle sont griffonnées plusieurs indications quant à son planning. Quels jours il serait absent, quand il serait susceptible de rentrer tard, et ainsi de suite. Quelques autres indications, comme quoi si un changement devait survenir, j’en serai tenu au courant via le frigo ou Jun Hee, étant donné qu’ils sont tous deux membres de Wonderland. Et, histoire de rendre le tout plus sympathique – je suppose – un petit smiley. Tandis que je relève les yeux vers lui, Gabriel ajoute quelques précisions quant à ce planning. Je hoche silencieusement la tête en signe d’accord, avant d’ajouter simplement ; « Parfait. » Sinon, le jeune homme poursuit en disant que nous devrions faire connaissance, étant obligés de cohabiter pendant un long moment. Je reste plusieurs longues secondes à le considérer, sans savoir que dire. Apprendre à se connaître ? Ça serait un bon début, même si j’en manque cruellement d’envie. Mais bon, ce n’est pas en faisant preuve de mauvaise volonté dès le début que les choses risquent de s’arranger. J’ai donc un soupir amusé, un vague sourire étirant mes lèvres ; « ‘Clair que ça serait pas du luxe. »

Je saisis ma tasse et avale la dernière gorgée du liquide encore doucement chaud. En silence, je me lève pour verser le reste du café dans le récipient, avant de revenir m’asseoir à côté de Gabriel qui engloutit encore ses hamburgers. Que dire ? Bonjour, Yong Jae, 25 ans, coréen. Non, au secours, on n’est pas aux alcooliques anonymes. Déjà que je ne suis pas très à l’aise pour faire connaissance avec de parfaits inconnus, alors avec une personne qu’on est supposé connaître, je vous raconte pas la galère. Avant de dire quoi que ce soit pour engager la conversation, je plante à nouveau mon regard dans le sien avant d’ajouter d’une voix plate ; « Bon… J’peux pas garantir que la bonne entente soit au rendez-vous. Mais bon, on peut faire semblant… ‘Fin, je me comprends. Au moins pour qu’on évite de crier tous les jours, j’en ai marre aussi. » Oui, un peu marre. Au moins, j’ai le mérite d’être sincère sur le coup ; qu’il ne s’attende pas à que je sois terriblement sympathique. Et si présentement, j’ai plus envie d’aller me coucher qu’autre chose, je sais que ce n’est pas en partant maintenant qu’on repartira sur des bases convenables. Je me lance alors dans une simple question ; « Ça se passe bien avec les Wonderlands ? » A défaut d’avoir d’éventuels points communs, autant discuter d’un truc susceptible de nous délier un peu la langue.

Accord conclu, je suppose. Gabriel engouffrant un nouvel hamburger, il manque de s’étouffer quand je tiens mon discours sur cette entente conclue. Il tousse doucement, bois bruyamment de longues gorgées de café. Agacé par ce bruit, je lui adresse un regard quelques peu blasé… Ha, ces américains. Non, je ne suis pas bourré de clichés, mais disons que le gars qui s’empiffre de ces mets, buvant du café, et le tout dans un boucan infernal, ça fait très stéréotypé… Mais manque de bol, Gabriel n’a assurément pas les traits occidentaux, étant le portrait craché de son paternel. J’en viens même à me demande comme ce garçon peut faire autant de bruit en mangeant. Non, autant de bruit tout court ; l’entendre descendre les escaliers le matin est une excellente preuve. Bref. C’est un sourire qui m’est adressé, auquel je ne réponds pas. Je lui avais dit ; qu’il ne s’attende pas à une véritable empathie de ma part. Malgré ma proposition, je ne peux pas effacer mon amertume du revers de la main, comme ça. Pas que je sois si entêté ; la preuve en est que j’ai fait un pas vers lui. Mais qu’il ne s’attende pas à beaucoup plus de ma part pour ce soir… A moins qu’il me donne des occasions de l’apprécier vaguement. En revanche, Gabriel se montre largement plus affable. Je ne sais pas si je dois l’admirer pour ça, ou non. En tout cas, il m’explique que tout semble bien se passer avec les Wonderlands, sauf avec Jun Hee. Que le connaissant pas vraiment, il ne sait pas comment l’aborder pour sympathiser davantage. Le bougre en vient même à comparer sa relation avec Jun Hee, à la nôtre ; visiblement, c’est plus simple pour lui de m’adresser la parole, étant donné que nos échanges jusqu’à là se sont bornés à des engueulades. Doucement amusé par ces déclarations assez maladroites, j’ai un petit rire légèrement crispé. Je suis censé le prendre bien ? J’imagine… Je lui réponds donc ; « C’est étrange, je pensais justement que Jun Hee serait celui avec lequel le courant passerait le mieux. Vrai que je ne vous ai jamais vu vraiment discuter à la maison, mais je pensais que les choses étaient différentes dans votre groupe. Enfin, j’imagine que c’est une question de temps. » Je pourrais peut-être essayer d’en parler à Jun Hee, en tout bon grand frère que je suis censé être. Mais en même temps… Sans être un monstre d’égoïsme, je me dis que c’est quelque chose qu’ils doivent régler entre eux. Laissons-les se débrouiller dans un premier temps, et peut-être daignerai-je lever le petit doigt si les choses ne s’arrangent pas à force du temps. En essayant de cacher une quelconque rancœur, je me décide à le tacler doucement ; « Essayes peut-être de t’engueuler avec lui, qui sait, peut-être que ça marchera ! » dis-je avec un sourire en coin, signifiant que ma répartie tient de la plaisanterie.

Parti sur sa lancée, Gabriel me parle du reste du groupe, et notamment de leur leader. Une personne visiblement sérieuse, quoique sympathique. Et visiblement, Red Man encourageait mon cadet à passer le bac coréen, ce qui fit doucement soupirer le jeune homme. Il m’explique alors qu’il n’avait même pas passé son diplôme quand il vivait encore en Californie, et qu’ayant encore des difficultés avec le hangeul, il ne sera pas prêt à le passer avant un bon nombre d’années. Cette anecdote au sujet du système d’écriture coréen me fit doucement sourire. Haah, si seulement il savait… J’imagine que notre alphabet n’est pas évident pour les occidentaux, mais il demeure largement plus simple en comparaison aux syllabaires et signes chinois qui composent le japonais écrit – autant dire que j’en ai bavé quand j’ai décidé d’apprendre cette langue ! Sinon, je ne peux que retenir la sagesse du leader des Wonderlands ; passer son bac n’est pas négligeable. Je l’encourage – façon de parler – donc ; « Il n’a pas tort, ça te fera toujours une porte de secours si t’avais des problèmes plus tard. Puis bon, ce n’est pas un examen si compliqué ; la preuve, j’ai réussi à l’avoir, et pourtant j’étais pas une flèche au lycée… » Bel euphémisme que voilà… Je n’ai jamais été doué à l’école. Sans avoir des facilités, j’avais les capacités nécessaires pour mieux m’en sortir, mais je ne m’en suis jamais donné la peine. Il y avait seulement en sports ou je m’en sortais vraiment bien, et en musique, vaguement. Les langues, même si je suis plurilingues maintenant, ce n’est qu’une fois mon diplôme décroché que je me suis vraiment penché dessus, donc… On imaginera bien facilement que mon dossier scolaire n’avait pas grand-chose d’enviable, et à y repenser, c’est un miracle que je sois bachelier. Le miracle des pseudo-révisions de dernier moment, j’imagine…

Le jeune poursuit en parlant du maknae, vraisemblablement un adorable petit bout, et Dean, personne qu’il semble connaître de longue date. Ce détail me fait d’ailleurs haussé les sourcils ; moi qui pensais connaître ce dernier depuis un bon moment, Gabriel me montre le contraire, m’expliquant qu’il ne connaît depuis le collège. Curieux, je le questionne donc, bien que certain de la réponse ; « Tu as connu Dean à Los Angeles ? » Et finalement, mon cadet me demande si je n’avais jamais aspiré à rejoindre à groupe, et comment c’était de travailler en solitaire. Je prends une longue inspiration, bois une gorgée de café avant de reprendre la parole ; « L’avantage d’être en solo, c’est que je n’ai pas à m’accorder avec les autres pour avoir un rendu, et comme je sais ce que je veux, c’est non négligeable. Par contre, je suis obligé de tout gérer, et que j’ai des lacunes dans certains domaines, c’est pas toujours évident… Et dans un sens, je me dis que c’est sûrement moins enrichissant de bosser seul, même si j’adore mon travail. » Holà, je vous arrête ; je ne suis pas un fan de mes productions. Enfin, bien sûr, je suis satisfait de ma musique, mais quand je dis que j’aime mon travail, c’est plutôt pour expliquer que je suis satisfait en travaillant seul. Néanmoins, je viens ajouter quelque chose à mes paroles ; « Mais il y a peu, l’agence m’a proposé un nouveau contrat. Je vais intégrer un groupe sous peu, tout en continuant ma carrière solo et d’acteur en parallèle. » Autant dire que si j’ai hâte de travailler dans un groupe fixe, plutôt qu’en collaborations temporaires, je sens que mes heures de sommeil vont en prendre un sacré coup !

Sale gosse. Pourtant, ce mioche arrive à m’arracher un sourire doucement amusé, tandis que j’ai un petit mouvement de tête dépité. Est-il irrécupérable ? En tout cas, je me complais dans cette idée… Mais soit, c’est moi qui lui ai proposé de l’engueulade comme technique d’approche avec Jun Hee. En revanche, je ne m’attendais pas à ce que ce conseil fasse suffrage chez Gabriel. Après tout, c’était bien davantage une plaisanterie… J’espère juste que mon cadet en a bien conscience. En même temps, je ne le vois pas trop aller chercher des noises à notre frère dans l’espoir de créer un quelconque lien. Imaginer la scène me fait soupirer d’amusement… Bon, s’il passe et bien à l’attaque de la sorte, je ne veux être considérer responsable de rien ! Enfin, pour l’instant ce n’est pas le plus important, je suppose. Non, pour le moment, le principal est que j’arrive à discuter avec Gabriel sans placer un mot plus haut que l’autre ! C’est chose exceptionnel, et je me surprends à vouloir maintenir cette conversation, et ce même si la fatigue commence à se faire sentir. Moi qui pensais que ça allait être chose difficile de me forcer, je réalise que c’est plus aisé que prévu. Mais bon, je ne m’enflamme pas et garde les paroles que je lui ai adressées plus tôt en considération ; mieux vaut ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué… Et ce même si pour l’instant, l’abcès semble crevé. Quoi qu’il en soit, la logique de ce garçon est vraiment déroutante, c’est clair. Mais dans un sens, ça me fait rire, ce qui en soit est aussi quelque chose d’inattendu. Mes efforts portent leurs fruits, bien davantage que je ne pouvais le penser. A moins que je ne simule cet amusement ? Bref, je pensais être davantage irrité par de tels rapports de cause à effet, à la limite d’éprouver un semblant de pitié, mais c’en est bien loin.

Quand la conversation en vient aux examens, tout du moins au moment où je donne raison à son leader, Gabriel a une petite moue boudeuse… Mais dans un sens, je ne peux pas chanter les louanges de sa fainéantise scolaire. Bien que je ne sois moi-même pas un modèle dans le domaine, ni très à cheval sur les diplômes et autres, je ne suis pas aveugle pour autant. Avoir le strict minimum est nécessaire. Et même si Gabriel est quasiment lancé dans sa carrière avec son groupe de Trainees, le succès n’est jamais garanti, ou de longue durée. Combien de groupes ont vu le jour avant de se rétamer ? Je ne dis pas qu’ils l’aient mérité, tout le monde a droit à une chance. Mais réussir dans le domaine de la musique demande énormément de travail, bien davantage que ceux nécessaires pour décrocher son bac. Bien entendu, je ne doute pas du talent de Gabriel, et je ne l’ai jamais fait. Il n’est pas le fils de son père pour rien, et si jusqu’à désormais l’entente n’a pas été au rendez-vous, je ne me suis jamais leurré sur ce point-là. Alors bien entendu, c’est vexant et ça a eu de quoi attisé une certaine jalousie chez moi, mais je n’ai jamais eu la mauvaise foi de dire qu’il est dénué de tout talent. Sachant que sa spécialité est la danse, et que je suis aussi doué qu’un manche à balai dans ce domaine, ça serait bien gonflé de ma part… Bref, tout ça pour dire que je pense que c’est important que mon cadet passe ce fameux diplôme. Sait-on jamais... Et mine de rien, je pense que c’est le genre de détail auxquels les fans ne sont pas insensibles. C’est peut-être stupide, mais l’image que l’on peut renvoyer ne tient des fois à pas grand-chose. En tout cas, le mioche vient piquer doucement mon égo en me taquinant. Il est gonflé lui ! Qu’il apprenne à écrire les hangeul, mais surtout les hanja (signes chinois) et on en reparlera ! Et qu’il aille apprendre l’histoire coréenne aussi, c’est une autre paire de manche que la civilisation américaine. D’accord, là j’admets faire preuve d’un tantinet de mauvaise foi ; moi-même, je ne connais pas l’histoire de mon pays sur le bout des doigts… Et je suppose que l’histoire américaine est complexe elle aussi. Mais bon ! Le poing serré, je viens déposer un coup sur l’épaule de Gabriel en réponse à sa remarque. Rien de bien fort, tout juste de quoi répliquer pas trop méchamment à ses paroles. Je réponds tout de même de vive voix, avec un sourire discret ; « Hahaha… Fais-en autant avant de trop parler ! Bon, blague à part, dis-toi que ça fera monter ta popularité auprès des fans si tu as ton bac coréen. Surtout si tu as toujours grandi aux Etats-Unis, ça les touchera d’autant plus. »

Gabriel m’explique alors qu’il n’a pas connu Dean à Los Angeles, mais à Seattle, quand il était encore au collège. Waoh… Je ne m’attendais pas à ce qu’ils se connaissent d’aussi longtemps ! Et si je pense pouvoir me vanter de bien connaître Dean, je réalise que Gabriel doit en savoir bien plus à son sujet. Même si c’est un ami proche, plusieurs zones d’ombre demeurent autour de lui. Néanmoins, je respecte le silence de Dean, et préfère ne pas l’interroger au sujet du scandale qui l’a envoyé à l’armée pendant un moment. S’il estime que ça ne me regarde pas, je n’insisterai pas, même si ma curiosité est attisée… Mais je n’aime pas être envahissant. Alors forcément, quand Gabriel en vient malgré lui à me dévoiler malgré lui des indices, je ne peux qu’être étonné. Pourtant, je garde mes questions pour moi, une fois encore. Autant apprendre tout ça par la bouche de mon ami, et non pas par quelqu’un d’autre… Surtout que présentement, je préfère éviter d’aborder des sujets trop graves avec Gabriel, même si mon silence contribue à refroidir doucement l’ambiance. Néanmoins, je tâche de briser la glace en disant simplement ; « Je vois… Ça fait un bail que tu le connais alors ! » Gabriel vient alors me demander si je le connais, ce à quoi je réponds ; « Oui, on est assez proches, même ! C’est vraiment un gars bien. » Et tout aussi sobre soit cette phrase, c’est un vrai compliment venant de ma part. Pas que je tarisse d’éloges, mais il me faut du temps pour accorder ma confiance et mon amitié aux autres, et Dean en est digne. Et si ce scandale eut pu freiner ma sympathie à son égard, ça n’a pas vraiment été le cas ; sans que mon niveau atteigne le sien, je n’étais pas un enfant de cœur dans mes jeunes années non plus.

La conversation vogue alors à nos carrières, et c’est un grand sourire qui m’est offert quand je lui annonce ce nouveau contrat qui m’a été proposé. Gabriel se montre même un peu plus familier, venant me poser une claque dans le dos. Je fronce doucement les sourcils, peu friand du contact physique avec ceux dont je ne suis pas vraiment proche. Mes sourcils se froncent davantage quand je l’entends crier à la fin de sa phrase. Je lève un doigt sur mes lèvres en ayant un mouvement de tête pour désigner l’étage ; « Chuuut ! » Après tout, Jun Hee dort certainement à cette heure-là… Enfin, je sais que tout ça part d’une bonne intention, aussi ai-je un autre sourire gratifiant, tandis que Gabriel poursuit. En effet, sous peu nous serions en compétition… Enfin, s’il ose dire ainsi, vu que selon lui, Hope à elle seule leur mettrai la pâté, vocalement parlant. Vrai qu’elle a une voix à tomber par terre, et qu’elle sera un précieux atout. Tout autant que les autres membres du groupe, cela dit ! Du coup, mon cadet me demande de lui apprendre les rudiments du rap pour que l’on puisse se battre à armes égales, comme il le dit si bien. Je fais une moue pensive, mon index et mon pouce droits venant saisir mon menton, tandis que je marmonne ; « Laisse-moi réfléchir… » Mon regard se lève au plafond pendant quelques longues secondes, avant que je n’énonce un « Non ! » clair et précis, avec un sourire taquin. « T’as déjà la danse et le chant pour toi, je vais pas te donner un avantage de plus, là on ne serait plus à armes égales ! Et il y a déjà des membres très talentueux dans ton groupe. »

Spoiler:

Pour tout dire, je m'étonne moi-même à avoir l'esprit si pragmatique. Cette histoire de devenir bachelier pour faire grimper la courbe de popularité d'un artiste... Pas que je sois quelqu'un de spécialement bohème ou décalé de la réalité, mais jamais je n'aurais cru pouvoir sortir des probabilités pour faire croître le succès de mon cadet. Je suppose que c'est dans ce genre de situation, qu'on voit que je suis dans le métier depuis un moment... Une dizaine d'années, ça commence à faire ! Même si à l'évidence, je ne suis pas passé Rookie dès mon adhésion à la New Generation. Des années d'entraînement intensif en chant, en rap, en beatbox et en comédie... Si je me régalais à l'époque, malgré mes quelques jérémiades sur ces intenses heures, pour rien au monde je ne voudrais revenir au statut de Trainee. Enfin, au moins puis je compatir avec Gabriel, qui en est encore à ce rang là... Et pour tout dire, je me sens épris d'une vague nostalgie. Il faut dire qu'une dizaine d'années auparavant, la vie était belle, et ce même si ma mère venait de se faire la malle, laissant tout juste quelques photographies et un vague mot d'excuses. En revanche, je pouvais goûter à une nouvelle vie aux côtés de mon père, et ça, ça n'a pas de prix. Bref, revenons-en à nos moutons.

Gabriel me donne finalement raison, avant de revenir me taquiner doucement quant au nombre de nos fans. Je souris doucement, tout en ayant un petit soupir ; « Non, ça c'est impossible. » dis-je avec ce même sourire doucement taquin. Je ne suis pas mégalomane, et si je sais que j'ai un public et des fans fidèles, j'ai parfaitement conscience que certains artistes sont plus populaires et appréciés que je ne le suis. En revanche, ma courbe de popularité pourrait très bien se voir augmenter avec le commencement proche des MOB. Plus sérieusement, j'ajoute simplement ; « On verra ça en temps voulu, en tout cas ! » Car pour l'instant, vu le statut de ses membres, le groupe Wonderland n'a pas été officiellement lancé – ce qui, je suppose, ne saurait tarder. J'admets ne pas avoir trop suivi leur actualité, étant pas mal pris par ma carrière, mais je ferai en sorte de remédier à ça une fois leurs titres sorties. De toute façon, j'imagine qu'on n'échappera pas à une campagne publicitaire en béton, comme pour les nouveaux groupes tels que MOB ou FTO.

La conversation en vient à Dean, et visiblement Gabriel semble deviner que quelque chose me titille au sujet de son scandale. Suis-je si transparent que ça ? Ou alors, le môme est drôlement perspicace, ce qui est possible aussi – vu nos échanges jusqu'à là, il y a de fortes chances que je ne l’aie pas remarquer. Je reste silencieux à ses paroles, quand il me dit que j'en saurai sûrement plus à l'avenir. Ne vous méprenez pas ; je ne suis pas jaloux du fait que Gabriel soit plus au courant que moi. C'est parfaitement légitime, étant donné qu'il connaît Dean depuis plus longtemps que moi. Seulement... Je suis intrigué et un tantinet inquiet pour un ami proche, voilà tout.

Soudain, à mon grand dam, mon cadet se lève pour venir me claquer un bisou sur la joue. Heyho, heyho ! Peu friand des contacts physiques avec les personnes dont je ne suis pas réellement proche. Et s’il est clair qu’au fil de cette conversation, nous sommes devenus vaguement complices, ça n’est pas à ce point-là. J’esquive son embrassade au dernier moment, et c’est par je ne sais quelle maladresse que Gabriel se casse la gueule, terminant les fesses au sol. Je le regarde les yeux ronds et interrogateurs, me demandant comment il a pu se rétamer de façon aussi peu glorieuse. Tandis qu’il se relève et retourne sur sa chaise, il peste quant à ma réponse à sa requête. C’est selon lui de l’injustice, étant donné que j’apprends déjà quelques rudiments du rap à Jun Hee, alors qu’il est bien meilleur danseur et qu’il a aussi l’aubaine de savoir chanter. Vu sous cet angle, c’est vrai… Et dans un autre sens, filer quelques tuyaux à mon cadet pourrait me rapprocher encore un peu. Mais chaque chose en son temps ; je suis déjà sacrément fier d’avoir passé cet accord d’entente entre nous, et d’avoir fait le premier pas pour engager la conversation. Il ne faut pas trop m’en demander non plus ! Par contre, je note cette idée quelque part dans le coin de ma tête pour l’avenir, en cas de panne d’idée. En tout cas, voilà que j’ai soudainement l’impression d’être un professeur en train de faire passer un entretien à un élève. Je n’ai même pas besoin de demander quelles sont ses motivations pour que je lui apprenne à rapper, que mon cadet m’expose en long, en large et en travers ses raisons. Les autres membres de son groupe ont beau être talentueux, il ne veut pas se reposer sur ses lauriers, ni même sur leurs talents respectifs… Et surtout, ajouter un petit plus au groupe. En tout cas, je ne suis pas insensible à son discours, étant donné que j’ajoute un ; « A l’occasion, on verra. » En tout cas, le temps des belles paroles n’est pas révolu pour Gabriel, qui annonce qu’il ne veut pas être en reste de Jun Hee et moi, tenant mordicus à faire honneur à notre paternel. Ces paroles me font doucement déglutir. Je ne sais qu’en penser ; je crois que la plaie n’est pas entièrement refermé de mon côté, et entendre parler de Lee Jin est toujours un peu douloureux. Je fais tout de même l’effort de sourire à toutes ces belles promesses.

Tandis que j’ai un bâillement, Gabriel m’annonce qu’il va certainement aller se coucher. D’accord avec ce dernier, je hoche la tête pour signaler que je ne vais pas tarder non plus… En espérant que cette fois-ci, je puisse bel et bien m’endormir ! Mais colère passée, je pense que ça devrait aller. Et cette fois-ci, je suis définitivement claqué. Avant de sortir de la pièce, mon cadet me lance une dernière vanne sur la mine que je risquerais d’avoir demain – enfin, tout à l’heure plutôt – si je ne vais pas me coucher maintenant. Un petit regard blasé à son égard, un mouvement de tête de gauche à droite qui montre ma lassitude, je m’adoucis pourtant en annonçant simplement, avec un sourire presqu’invisible ; « Vas dormir, et fais pas trop de bruit tout à l’heure, si tu veux vraiment ne pas avoir affaire à la Momie ! »

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