Inspiration, où es-tu ? Non sérieusement, ce n’est pas drôle. Je suis là, dans le séjour du dortoir, accoudé à la table au milieu de la pièce. Une musique s’élève de la chaîne hifi, à volume réduit, doucement troublé par la brise qui s’engouffre dans la pièce par la fenêtre. Soulèvement d’un rideau grisâtre, cette ondulation me fascine quelques secondes, mais ne m’inspire par quelques paroles. Mon regard parcourt rapidement le bazar ambiant ; vestes et autres t-shirts abandonnés aux quatre coins de la pièce, bouteilles vides, magazines en tous genres, et autres joyeusetés qui constituent un splendide capharnaüm digne de mecs bourrés de testostérone. Je soupire soudainement, avant de me pencher sur la feuille raturée pour essayer de coucher quelques lignes. Vainement. A croire que l’endroit est trop calme pour que je sois vraiment inspiré. D’autant, j’ai horreur d’être dérangé quand je suis pleinement inspir, mais je déteste être dans un lieu trop paisible quand je n’ai aucune idée qui me traverse l’esprit. Lassé et un peu énervé, je secoue la tête et me frappe doucement les joues avant d’abattre mon poing sur la table. C’en est assez ; décidément, je n’arriverai pas à composer aujourd’hui. Et manque de bol, Man Nai et Il Sung ne sont pas là pour me souffler quelques idées malgré eux… Tant pis.

Je me lève, ne prenant pas la peine de ramasser ces affaires, et file dans la salle de bain pour prendre une douche histoire de me détendre et me vider la tête – à supposer que ma boîte crânienne puisse être plus vide qu’elle ne l’est déjà. Apaisé, je m’apprête pour sortir après avoir fermé la porte du dortoir à double tour. Et maintenant ? Je sens que la journée va être longue. J’ai une fin de journée libre, et j’aurais voulu en profiter pour écrire un peu, ce qui a été un échec considérable. Je pourrais certes faire un brin de rangement dans le dortoir, ça ne serait pas du luxe, mais… Flemme, et j’attendrai le retour de mes deux compères pour que ça soit plus vite expédié. J’ai bon espoir de trouver quelqu’un avec qui taper la discussion en traînassant dans les couloirs, aussi je décide de descendre dans le hall pour flâner au hasard dans l’agence. J’ai un coup d’œil pour ma montre ; dix-sept heures passées. A cette heure-ci, beaucoup doivent être en train de bosser dans des studios ou autres salles de réunions, mais je me rassure en disant que beaucoup doivent traîner dans les halls tout comme moi.

Arrivé devant l’accueil, je trouve en effet plusieurs membres du staff et autres célébrités, rookies et trainees qui arpentent les lieux pour se rendre à leurs lieux de travail respectifs. En d’autres termes, personne de disposé à la discussion ; de toute façon, aucune de ces têtes ne m’est familière, et si je ne crains pas d’aller discuter avec un ou une inconnu, je n’ai pas envie de me contenter de quelques mots échangés au détour d’un couloir pour me retrouver à nouveau seul. La logique voudrait que je trouve quelques flâneurs à la cafeteria, mais les lieux sont aussi déserts. Je lâche un petit soupir las, songeant que la veine n’est pas de mon côté aujourd’hui. Traînant encore un peu, j’entends soudainement une sonnerie s’élever de mon téléphone. Je sors mon cellulaire pour répondre, et c’est mon manager que j’ai au téléphone. Celui-ci me dit que le styliste en charge de nous pour notre prochain photoshoot me demande en urgence pour reprendre ma taille pour fignoler quelques détails. On m’indique alors que je le trouverai certainement dans les coulisses scéniques, mais que je devrai certainement l’attendre un petit peu. J’abrège rapidement l’appel, tout de même satisfait de trouver une occupation malgré moi. Sans perdre davantage de temps, même si je sais que je devrais patienter un peu, je me mets en marche direction le lieu indiqué.

Comment cette idée ne m’est-elle pas venue à l’esprit de suite ? Certainement parce que les coulisses ne sont pas ouverts à tout le monde, tout le temps. Encore heureux que j’ai mon autorisation pour aller trouver le styliste en question ; on me laisse entrer sans me rechigner, m’indiquant un endroit ou patienter. Je me retrouve donc dans des coulisses remplies de belles nanas en mannequinat qui patientent pour leurs répétitions ou autres défilés. Agar, je ne sais plus où poser les yeux. En fait, ça ne doit pas être si mal d’être styliste, me dis-je en observant quelques silhouettes bien galbées. Autant dire que mon ennui est effacé d’un revers de main. Je reluque sans gêne, quand je crois reconnaître un visage qui ne m’est pas inconnu. Je regarde plus attentivement et reconnais ce splendide visage. Oh. Mais ne serait-ce pas la goudou que j’avais essayé de draguer durant le cocktail de la dernière fois ?! Il me semble que c’est bel et bien le cas. A regarder sa silhouette, je me dis que c’est quand même un sacré gâchis. J’vous jure, ça a de quoi me fendre d’un soupir. Mais bon, à trouver enfin quelqu’un avec qui causer, je m’approche. Puis oui, zut, cette fille m’intrigue. Curiosité masculine pas très glorieuse, je suppose !

Je m’approche et viens lui tapoter l’épaule avant de lui adresser un large sourire en la saluant ; « Hey, mec ! » Ben quoi ? Okay, c’est clair que c’est pas très malin, mais la finesse n’a jamais été mon fort, en même temps. La preuve en image, ou tout du moins, en paroles quand mes lèvres se fendent d’un sourire plus taquin ; « Bah ça va… T’as du choix ici ! » dis-je en lui adressant un léger clin d’œil en faisant des signes de tête pour désigner toutes ces ravissantes demoiselles qui nous entourent. « Bon, qu’est-ce que tu racontes depuis la dernière fois, sinon ? » Parce que ouais, bon… Faut pas déconner on plus, je sais vaguement faire la conversation quand je m’en donne la peine.

« Simply the best, better than all the rest ! » Après cette imitation douteuse de Tina Turner, un bruit sourd de chute retentit. Dans ma chambre. C'était moi.

A sauter sur mon lit, tout en piaillant de la soupe qui ressemblait vaguement à de l'anglais, j'avais glissé et était venu embrasser le parquet, dans un fracas monstre. Un véritable «tremblement de terre» a dit mon père. En attendant, le tremblement de terre ambulant s'est baladée toute la journée avec une bosse sur le coin du front, car il avait jugé bon d'utiliser tous les glaçons dans ses tests de cocktails de la veille.
En cours, je n'avais même pas osé mettre les conseils de Fiesty en pratique, de peur que Jung Wan me trouve un surnom très peu avantageux à cause de mon incident. Je voulais lui faire bonne impression, pas lui faire peur. En gros, cette journée faisait partie de celle dont j'attendais la fin, plus qu'autre chose, car je savais que j'allais juste enchaîner les ennuis, les mauvaises nouvelles, ou pire encore les mauvaises rencontres.

Pour le dernier point, je ne savais pas encore ô combien j'étais dans le vrai.

Je n'avais pas franchement le temps de me lamenter, car il fallait que je me presse pour aller à l'agence, j'avais quelques répétitions, et je ne pouvais pas être en retard, surtout que la maquilleuse risquait de me crier dessus en voyant que j'avais décidé de faire un cosplay de Quasimodo.
Dans la voiture, je me changeais pour enfiler une tenue convenable, déjà que j'étais déformée, je n'allais pas aussi arriver sur mon lieu de travail, habillée en sac à patate.

Mon père se tuait à me dire qu'on ne voyait rien. Faux, moi je ne voyais que ça. Mais c'était peut-être parce que je faisais une petite fixette dessus... ?

Une fois sur place, je saluais mes Sunbae poliment, et me rendais dans le studio, on me préparait sans faire allusion à mon visage, ce qui ne me réconforta un peu. J'avais du mal à croire mon père, mais une professionnel à qui je confiais mon visage tous les jours, ça passait bien mieux.
Une fois en tenue, je sortais pour rejoindre les autres qui se trouvaient dans le même cas que moi, parfois je me demandais si quelqu'un venait à me reconnaître, ou du moins à faire le lien entre la Seung Ah de l'université et la Jewel de NG. « Hey, mec ! » J'avais bien entendu ? Quelqu'un venait de m'appeler «mec» ?

Aussi sec, je me retournais vers la personne en question, et venais me frapper le front avec la paume de ma main, après l'avoir reconnu : Nam Young Ho aka le seul mec qui ait jamais cru à mon mensonge sur ma sexualité. En général, quand je me qualifiais de lesbienne, les garçons comprenaient que c'était ma manière de les jeter, et lâchaient l'affaire. Non, Young Ho lui, avait une manière bien à lui de s'approprier la nouvelle. Tout d'abord il l'avait cru, mais en plus de ça, il ne me laissait toujours pas tranquille. « Bah ça va… T’as du choix ici ! Bon, qu’est-ce que tu racontes depuis la dernière fois, sinon ? » Si je ne savais pas prendre sur moi, et que j'étais réellement de ce bord, je crois que j'aurais eu du mal à me retenir face à son manque cruel de tact, mais au fond, il m'amusait, un peu.

« Ah donc tu sais que la plupart d'entre-elles sont de ce bord ? Et tu reluques quand même ? Tu te fais du mal Young Ho, ça fait longtemps qu'on a pas trempé le biscuit hein ? Pauvre petit. » Un sourire en coin étira les commissures de mes lèvres, tandis que je riais intérieurement.

Oui, moi aussi j'avais un certain franc-parler, pire je n'avais aucun mal à parler de ce genre de chose. Les gens qui me connaissaient comme Seung Ah en douterait, pas ceux qui me connaissaient comme Jewel.

C'était à se demander pourquoi je n'étais pas si confiante quand je parlais à Jung Wan.

Même les plus belles fleurs ont leurs épines, comme l’on dit si bien… Et franchement, j’adore les filles qui ne se démontent pas. C’est tellement plus intéressant de faire face à une demoiselle qui ne se laisse pas marcher dessus, ou qui ne s’outre pas face à un cruel manque de tact. Car oui, j’en ai conscience ; je pourrais faire nettement mieux au niveau de mes approches. Mais ça ne serait pas digne de moi, même si je suis tout autant capable d’être fin et distingué quand la situation l’impose. Et en l’occurrence, je n’ai aucune envie de jouer à ce jeu-là… Surtout que la répartir de Seung Ah a de quoi me faire rêver. La preuve en est qu’un sourire plus large vient à nouveau fendre mes lèvres, tandis que je laisse un rire franc s’en échapper. Ce n’est pas un rire méprisant ou forcé ; c’est là une réaction parfaitement spontanée. Si je prouve que je n’ai pas ma langue dans ma proche, mon interlocutrice me prouve que la sienne est bien pendue aussi… Et je ne me sens pas vexé le moins du monde quand elle vient mettre en cause la fréquence de mes parties de scrabble. Parce que bon… Être vexé et répondre de façon agressive et impulsive, ça serait lui prouver qu’elle a raison quelque part. Et bon… Je ne vais pas m’étaler sur le sujet, mais je n’ai pas à me plaindre sur ce plan-là.

En revanche, je crains qu’il n’y ait une petite méprise ; Seung Ah me dit que je ne devrais pas me faire de mal à regarder toutes ces splendides créateurs, sachant qu’elles sont peut-être toutes adoratrices de l’abricot. Non, c’est pas ce que je voulais sous-entendre quand je disais qu’elle a du choix. Pour le coup, c’est plus un fail de ma part qu’autre chose, mais peu importe. Et en même temps, je ne préfère même pas imaginer cette perspective ; franchement, ça serait horriblement frustrant. Une sorte d’enfer sans nom. Frôler quelque chose du bout des doigts sans pouvoir l’attraper… Donc certes, ça pourrait m’amuser dans un premier temps, mais si j’arrive à rien au bout du compte, c’est lourd quoi ! Mais bon, je suis certain que la réalité est bien loin des faits. « La plupart… Donc, pas toutes ! » dis-je avec un sourire. Quelques secondes de silence avant que je n’ajoute ; « Puis vas savoir, peut-être que certaines sont ouvertes à d’autres horizons ! » Hey, qui sait ! Franchement, ça serait le top. Au moins, tout le monde est satisfait, heh ? Mais passons.

Même si je ne suis pas vexé le moins du monde quand Seung Ha appui sur un point sensibles chez la plupart des hommes, je n’ai pour autant l’intention de me laisser démonter de la sorte. Je lui adresse alors un nouveau grand sourire tandis que je réponds à sa provocation ; « Hoh mais tu sais, c’est pas parce qu’on est rassasié qu’on n’a pas le droit de jeter un coup d’œil à l’étalage ! » Toujours tout en finesse, s’il vous plaît…

J'adorais vraiment embêter Young Ho, il était le genre de garçon plutôt lourd sur les bords, que je me faisais un plaisir à envoyer promener en règle général, sauf que pour le coup, il était vraiment persévérant, et que même s'il était un tantinet prévisible, j'avais un peu de mal à voir jusqu'où allait sa crédulité, à propos des histoires que je lui racontais. C'était amusant, désespérant aussi. Mais il n'était pas méchant, donc ce quiproquo ne me dérangeait pas tant que ça, je savais qu'il y avait des personnes du staff qui me croyaient également de ce bord, et ce n'était pas vraiment un problème. Après tout, je n'étais pas une célébrité de très grande influence, juste un mannequin espoir.

Cela commencerait à poser problème quand ma popularité aurait augmenté. Mais je n'y étais pas encore, et peut-être que d'ici là, Young Ho aurait enfin compris que je me payais sa tête. D'ailleurs, j'espérais qu'il n'était pas trop rancunier, et que lorsqu'il apprendrait la vérité, il ne m'en voudrait pas trop.

Surtout que je n'y allais pas doucement, je ne le ménageais pas le pauvre Young Ho, mais c'était plus drôle, car ses réactions n'en étaient que plus délectables. Bien que ce petit sourire sur son visage ne lui donnait pas un air des plus intelligent, au fond il était mignon. « La plupart… Donc, pas toutes ! Puis va savoir, peut-être que certaines sont ouvertes à d’autres horizons ! » Sincèrement ? Il était vraiment impossible, mais je n'arrivais pas à m'empêcher de rire sur le coup, d'une petite tape sur le bas de son ventre, je secouais la tête et répondais :

« Et toi, tu crois dur comme fer que les autres horizons vont mener à ton caleçon, c'est ça ? Mais vas-y hein, je suis curieuse de voir le nombre que tu réussiras à convaincre avec tes supers arguments. » un petit sourire sarcastique en prime, j'étais plutôt fière de moi pour le coup.

« Hoh mais tu sais, c’est pas parce qu’on est rassasié qu’on n’a pas le droit de jeter un coup d’œil à l’étalage ! » Sa vie sexuelle ? Je n'en avais aucune idée, et je n'avais la moindre envie d'en savoir plus, mais c'était vraiment amusant de le titiller là-dessus, car il trouvait toujours quelque chose à me répondre :

« Et tu ne t'es pas foulé le poignet hein ? Je touchais de mon index le biceps de son bras droit, hochant la tête, telle une experte : Je me disais bien que ton bras droit avait pris du muscle ! » Je lui tirais la langue, amusée par ce que je laissais sous-entendre de manière à peine voilée.

Je l'embêtais, car il se trouvait que j'avais pas mal de répartie, mais je n'étais pas la plus expérimentée qui soit. J'étais même comme qui dirait une newbie, mais ça personne n'était obligé de le savoir, lui compris.

Puis il fallait avouer que je faisais bien semblant, non ?

Cette fille est ignoble, n’est-ce pas ? Oui, vraiment. Enfin, pas ignoble. Dure, plutôt. Je suis certain qu’elle prend un malin plaisir à démonter chaque chose que je dis. Mais je ne m’appellerai pas Nam Young Ho si je me vexais, et surtout si je me démontais face à sa répartie. Trop fier, sûrement. Alors je me contente de continuer à être amusé, même si je me doute que ça ne la pousse qu’à être encore plus dure. Peu importe, ce n’est qu’un jeu, et la victoire reviendra à qui sera le plus cru, visiblement. Ça peut paraître étrange de se prêter à un tel stratagème avec une gonzesse ; la plupart sont trop réservées, prudes ou coincées pour jouer. Donc au moins, ça me change des habituelles compétitions de « qui c’est qu’a la plus grosse » faîtes entre mecs. Disons que le jeu est adapté. Mais le fait de partir dans un tel débat ne me pousse que plus à être sûr qu’elle est lesbienne ; je suis convaincu qu’une hétéro ne se prêterait pas autant au jeu. Oui, je suis bourré de clichés et d’idées préconçues, et alors ?

Bref. Seung Ah émet une petite réserve sur ce que je viens de dire. Je crois qu’il y a une petite méprise ; je ne crois pas dur comme fer que toutes ces demoiselles, sous réserve qu’elles soient attirées par la gente masculine, se jettent sur moi. Mais disons que j’ai toutes mes chances, si je sais m’y prendre. « Oh non. Je ne serai pas prétentieux à ce point, quand même. Mais disons, que je me ferai pragmatique, et que je me dirai que ces demoiselles ne savent pas ce qu’elles ratent. » dis-je pour m’expliquer tout en lui adressant un petit clin d’œil. Elle ajoute alors qu’elle serait curieuse de voir combien pourrait tomber dans mes filets, ce à quoi je réponds avec un sourire compatissant ; « Bah, je ne voudrais pas que tu sois jalouse. » Ouais… ‘Fin c’est plutôt que pour l’instant je m’amuse bien plus à la titiller, et que je n’ai aucune envie d’arrêter là.

La jeune mannequin continue à remuer le couteau dans la plaie… Et j’avoue que je ne m’attendais pas à ce qu’elle le fasse de cette façon. Mes sourcils s’arquent à sa réponse, avant que je ne lâche un soupir une fois qu’elle ait tâté un de mes biceps ; « Alalala, m’en parle pas. Ca fait même des problèmes d’asymétrie de musculature, je suis obligé d’acheter des pulls en deux tailles et de recoudre la manche droite, un vrai calvaire. » Nan, j’avoue que pour le coup je n’ai même pas le courage de répondre et d’être encore plus cru dans mes paroles. Mais dire ça, me donne encore plus l’impression de discuter avec un mec, c’est dingue.

Young Ho, Young Ho... Si tu n'existais pas, il faudrait t'inventer, car sérieusement je crois que je m'ennuierais. J'adorais vraiment discuter avec lui, mais plus j'y pensais, plus je me disais que je ne faisais vraiment rien pour qu'il remette en question les idées préconçues qu'il avait à mon égard. Il n'avait pas l'air de voir beaucoup plus loin que le bout de son nez. D'une certaine façon, c'était criant de naïveté, et plutôt mignon. Mais en même temps, j'étais sûrement la seule à le voir de cette façon, son comportement de gros balourd devait en énerver plus d'un, c'était certain. Moi, je m'en amusais. Au final, je ne savais pas qui tenais la palme de l'étrangeté entre nous deux. De plus, je ne le ménageais vraiment pas le pauvre, il ne devait pas avoir l'habitude d'être traité ainsi. Un petit sourire satisfait étira les commissures de mes lèvres, rien qu'à cette idée, tandis que je croisais mes bras, en dessous ma poitrine.

« Oh non. Je ne serai pas prétentieux à ce point, quand même. Mais disons, que je me ferai pragmatique, et que je me dirai que ces demoiselles ne savent pas ce qu’elles ratent. » Je pouffais de rire à cette réponse, il était vraiment impayable, il le savait ça au moins? Je le regardais ensuite, toujours amusée. Je me disais que peut-être un jour, il comprendrait, et qu'il changerait un peu sa façon de voir. Malheureusement, vu le spécimen, j'en doutais très sincèrement. « Bah, je ne voudrais pas que tu sois jalouse. » Je penchais ma tête sur la droite pendant un quart de seconde, et finissais par secouer la tête. Si je n'étais pas si persévérante, je crois sincèrement qu'il me désespérerait. Mais je me contentais de sourire, continuant à jouer le jeu encore un peu :

« Pourquoi est-ce que je serai jalouse ? Je suis ouverte à tout moi tu le sais, non ? » Et encore une fois, je savais pertinemment qu'il comprendrait où je voulais en venir avec mon «ouverte».

Je ne savais pas exactement ce qu'il attendait de moi. Si à la base j'en avais eu une petite idée, il devait avoir compris que ses espoirs étaient vains, non ? Il était vraiment intriguant, car même avec ses gros sabots, je n'arrivais pas vraiment à le comprendre. « Alalala, m’en parle pas. Ca fait même des problèmes d’asymétrie de musculature, je suis obligé d’acheter des pulls en deux tailles et de recoudre la manche droite, un vrai calvaire. » Cette fois j'explosais de rire, tapant rapidement une fois ou deux dans mes mains.

« Ce que tu peux être bête, je te jure. Mais Young Ho, je ne suis pas de ce bord hein. Ce n'est pas parce que je n'ai aucun mal à en parler que je suis lesbienne, hm? » J'essayais à nouveau de lui faire comprendre qu'il se méprenait sur moi.

Ce n'était pas que ça me dérangeait outre mesure, juste que je préférais que les choses soient claires. Après, libre à lui de me croire ou non. Mais étrangement, j'optais plutôt pour la deuxième option.

Pourquoi serait-elle jalouse ? Excellente question que voici, mais pour moi, la réponse est déjà toute trouvée. Je ne voudrais pas que la demoiselle se laisse délaissée si j’en venais à aborder d’autres jeunes femmes du bord qui m’intéresse. Oui, je suis un grand généreux dans l’âme… Mais je n’ai pas même le temps de lui fournir cette explication. En effet, Seung Ah me répond quelque chose de très intéressant. J’entrouvre doucement la bouche, tout de même assez étonné qu’elle me fasse un tel aveu. Etonné, et pas moins heureux, je tiens à le préciser. Je ne prends pas même le temps de me poser des questions, que je m’emballe sitôt ceci dit ; « C’est vrai, t’es ouverte à tout ? Mais qu’est ce qu’on attend alors ?! » Béni soit ma faculté à m’obstruer du contexte extérieur. Tant et si bien que je pose mes deux mains sur ses épaules, un grand sourire béat aux lèvres. Bien entendu que je n’y crois pas vraiment. Mais c’est tellement plus amusant de se prêter au jeu, de faire croire que je vais tomber dans le panneau. Je ne suis pas manipulateur pour un sou, mais disons qu’on sait tous les deux à quoi s’en tenir. Je m’essaye même à ajouter ; « Si tu veux on fait un plan à trois ? Comme ça tu seras pas trop dépaysée en même temps. C’est un bon deal, non ? » … Je vais peut-être un peu loin, non ? Bah, peu importe. Qui vivra verra, comme l’on dit, même si je sens une belle claque assez imminente.

La suite n’en est pas moins surprenante. Au moins, j’arrive à la faire rire avec mes bêtises, c’est déjà ça… Je suppose que je peux m’estimer heureuse qu’elle ne me dédaigne pas, c’est déjà ça ! Allez savoir, ce n’est pas dit que n’importe quelle fille rigole quand un mec lui dit qu’il se met à la couture. Surtout si la raison initiale est qu’il s’astique un peu trop… Mais passons. Seung Ah admet alors ne pas être de ce bord. Je dois me mélanger les pinceaux, parce que je serai tenté de demander ; mais de quel bord au juste ? Mais je fais bien de me raviser, déjà parce que je ne passerai pas pour le dernier des abrutis, mais aussi parce que la jeune femme répond à mes interrogations malgré elle. J’en conclu donc qu’elle n’est pas de ces adoratrices de l’abricot… Et si je pourrais être énervé de cette déclaration, il n’en est rien. J’en conclus que cette machination a été mise en place pour me faire comprendre qu’elle n’est pas intéressée. Tant pis ! Oui, tout simplement. Je dois admettre que je suis un peu boulet et naïf quand je m’y mets, et cette situation en est la preuve même. Mieux vaut en rire, hein ? « Mais alors… Tu m’aurais menti ?! » dis-je avec un air faussement outré, posant une main à plat sur mon torse pour en ajouter à cette comédie. Mes lèvres pincées en une petite moue un peu boudeuse et doucement perplexe, je continue à sonder Seung Ah d’un regard un peu dépité. « T’es pas lesbienne ? Même pas un touuut petit peu ? » je m’essaye à la questionner.

C’est par un petit haussement d’épaules que j’accueille la réponse de Seung Ah. Effectivement, j’arrive tant et si bien à faire abstraction de ce qui se passe autour que j’en viens à oublier qu’elle est actuellement en train de bosser, et que je ne suis pas là pour reluquer les demoiselles. J’ai un petite moue déçue, mais ne me formalise pas davantage sur ce refus poli. J’ai alors un petit coup d’œil à ma montre, et constate que de toutes évidences, cette conversation m’a pris un certain temps, et que je devrai bientôt trouver la personne pour qui je suis initialement venu ici. En revanche, je dois admettre avoir hâte de voir sa réaction quand mes propositions se font un peu plus tordues… J’ai conscience d’agir présentement comme le pire des goujats, mais ça m’amuse, et il me semble que Seung Ah est plus disposée à prendre cette perche telle qu’elle est, à savoir comme une plaisanterie. Enfin, si elle avait répondu par l’affirmative, vous vous douterez bien que je n’aurai pas craché sur cette opportunité. On ne dit pas non à deux jolies filles bien galbées.

En revanche, si je m’attends tout de même à une claque, peut-être bien méritée, c’est une simple pichenette que je reçois, alors qu’un regard désapprobateur m’est adressé. Seung Ah est tout de même cool. Combien de filles auraient appelé la sécurité pour crier au harcèlement sexuel ? Bon, c’est peut-être un tantinet exagéré, mais il n’empêche que je m’en sors sans fracas, et c’est déjà un bon point. Un petit sermon m’est adressé. Mes lèvres s’esquissent cette fois-ci en un sourire sympathique, tandis que je rigole doucement ; « Je me disais bien que je finirai par trouver tes limites ! » Une façon tranquille de faire comprendre que je ne regrette pas de la tâcler, mais que je ne prends pas mal non plus ses réprimandes. Encore heureux que je ne suis pas susceptible, sinon je ne serai pas sorti vu le nombre de râteaux que je me prends à cause de mon cruel manque de tact – qui est plus volontaire qu’autre chose.

Enfin, cette terrible révélation avouée vraie, je hausse à nouveaux les épaules. De toute façon, je crois que Seung Ah restera lesbienne dans ma tête quoi qu’elle en dise. Rien que pour le plaisir de la taquiner là-dessus, en fait… C’est alors qu’elle vient proposer de me présenter quelques-unes de ces connaissances… Plaît-il ? Elle a toute mon attention l’espace de quelques secondes, avant me décevoir à nouveau. Je mine un air outré, en me désignant ; « Moi, faire peur aux filles ? Penses-tu ! » Un rire bref, avant que je ne jette un nouveau coup d’œil à ma montre. Je lève à nouveau les yeux, et dis à la jeune mannequin ; « Pas que je m’ennuie ou que je te trouve méchante – enfin, si – mais je dois filer, faut que je trouve un styliste qui traîne dans le coin. » Un nouveau sourire esquisse mes lèvres avant que je ne vienne faire une nouvelle tape amical dans le dos de la demoiselle ; « Allez, à la prochaine mec ! »