•• Je suis une personne instable mentalement. N’allez pas croire que je suis carrément folle, mais des fois, les gens se posent la question. En fait, je contrôle très peu mes émotions, je réagis à tout, tout le temps et trop, je suis incapable de me couper du monde extérieur jusqu'à ce que mon esprit m'y force et je suis une éponge. La moindre petite émotion est multipliée par cent chez moi, ce qui fait de moi quelqu’un de lunatique, imprévisible et parfois extrême. En conséquence de quoi je m’énerve vite, je pleure facilement, j’aime facilement, je pardonne facilement, je suis douée pour capter une atmosphère ou pour lire chez les gens ce qu’ils ne veulent pas dire. Mais ça ne veut pas dire que je saurai avoir la réponse adéquate, hélas.
•• Je suis aussi extrêmement anxieuse, surtout vis-à-vis de moi-même. Je suis très travailleuse et j’attends beaucoup de moi, je place la barre très haut et suis forcément souvent déçue, résultat des courses, je n’ai pas confiance en moi. Les seuls moments où je me sens forte, c’est sur scène, avec un micro. Avant, après, j’ai du mal à gérer mon stress, et souvent je prends mes distances avec le monde extérieur – et les gens disent alors que je suis quelqu’un de froid et d’introverti, alors que sous mon crâne, croyez-le, c’est la tempête. Je suppose que oui, je suis difficile à supporter, surtout pour les gens qui s’occupent de moi, de la maquilleuse au styliste, du manager au caméraman. J’en ai conscience et je ne fais rien pour changer, ce qui ne fait pas de moi quelqu’un de respectable dans ces moments-là.
•• Hors du monde professionnel, je suis assez ouverte, du moins en apparence. J’ai beaucoup de mal à m’ouvrir aux autres cela dit, mais les gens préfèrent toujours parler d’eux que le contraire et très peu finissent par se rendre compte qu’ils ne me connaissent pas vraiment. Ceux qui s’en rendent compte finissent par penser que je ne leur fais pas confiance et peut-être ont-ils raison. Je me méfie particulièrement des hommes, autant le dire tout de suite. Avec eux, j’adopte toujours la même défense : le rejet, le reproche, la distance, la moquerie. Ca ne m’empêche pas d’avoir des aventures de ci de là, et bien évidemment cela se termine toujours vite et mal, souvent par ma faute, j’avoue. En amour, je ne suis pas quelqu’un de facile à vivre, principalement parce que je crois pas vraiment en l’amour, ou du moins j’y crois totalement, mais je pense aussi qu’il n’est pas destiné à durer, qu’il n’est destiné qu’à faire souffrir, et pour le moment je n’ai trouvé personne pour qui cela valait le coup de souffrir.
•• La musique est ma vie et la chanson en est l’apogée. Il n’y a rien de plus important pour moi sur cette Terre. Comme pour la plupart des artistes, n’est-ce pas ? Nous avons tous trouvé un moyen d’expression différent de la parole et qui nous a sauvé la vie. Je ne fais pas exception à la règle, et quand il s’agit de chanter, je pense que je suis douée, c’est le seul domaine à propos duquel je ne laisse personne me dicter sa loi, c’est mon truc, mon monde, la chose qui me transforme et me rend forte, je ne m’en lasserai jamais et si un jour on devait m’ôter la voix, c’est bien simple, je ne vois pas ce qui me retiendrait dans cette vie. A la place de la Petite Sirène, je n’aurais jamais échangé ma voix pour un mec. J’ai un véritable côté artistique de ce point de vue-là, j’écris beaucoup de paroles que je garde pour moi évidemment, jusqu’au jour où on me laissera faire ce que je veux. Je rêve de faire carrière en dehors de la Corée, je rêve de collaborations avec des artistes internationaux et variés, j’aime tous les styles de musique, de danse, de chanson, j’aime aussi jouer du piano et de la guitare, j’aime la poésie et la peinture même si je suis nulle à en crever, bref, j’ai une âme d’artiste et j’adore mon métier, il me rend heureuse.
•• Pour finir, et c’est très important, je déteste la violence, elle me terrifie. Même un simple coup me pétrifie et je ne suis plus capable de penser ou de bouger quand j’assiste à une bagarre ou même à une dispute en coulisses entre deux personnes. C’est le genre de situation qui, compte tenu de mon côté un peu instable, peut me faire fermer boutique, c'est-à-dire que je me coupe totalement de l’extérieur, il m’est déjà arrivée d’avoir ce genre de black-out et de marcher au hasard jusqu’à ce que je me secoue et me demande ce qui m’est arrivé. C’est un genre de somnambulisme éveillé, en fait, même si ça arrive très rarement et dans des situations vraiment extrêmes.

•• Je suis née en Chine parce que mon père y a emmenée ma mère alors qu’elle était enceinte de six mois. Ma mère est chinoise et mon père coréen, mais je n’ai rien gardé d’autre de mes origines chinoises que la langue, et encore, je l’ai apprise sur le tard et sans vraiment de bonne raison. Pour le dire clairement, ma mère est folle. Pour ce que j’en sais, elle est toujours en Chine, elle vit avec son oncle qui la garde sûrement enfermée tous les jours. Pourtant mon père leur a donné mille fois de l’argent pour qu’ils la placent en hôpital spécialisé où elle serait bien mieux traitée, mais la famille de ma mère n’est pas vraiment respectable, et son oncle a toujours gardé l’argent de mon père pour le dépenser en alcool, en bijoux pour sa femme ou en voitures de sport. Ma mère a commencé à présenter des signes de folie quand elle est tombée enceinte de moi. Rien à voir, évidemment, elle a toujours porté cette folie en elle. Mais voyant qu’elle devenait de plus en plus instable, mon père, en désespoir de cause, l’a emmenée dans sa famille en Chine en espérant que cela l’aiderait, et que sa famille à elle l’aiderait, que tous ensemble ils pourraient la rassurer, la calmer, l’empêcher de s’arracher les cheveux à pleines mains, de se griffer les joues et de donner des coups de casserole dans son ventre arrondi.
•• J’ai vécu six ans en Chine et je n’en garde aucun bon souvenir. A cette époque mon père était reparti en Corée. Son travail était très prenant, et il cherchait aussi des médecins capables de soigner ma mère. Il en était fou amoureux et il l’aime encore, je le sais, mais il se voilait la face évidemment. Depuis quand est-ce qu’un cachet peut guérir la schizophrénie ? Durant ces six années, la principale chose qui m’a marquée, évidemment, c’est la façon dont mon grand-oncle traitait ma mère, et dont ma mère me traitait en retour. C’est un cercle vicieux ces choses-là. Les fous, on ne sait jamais quoi en faire, surtout dans une famille d’arriérés comme celle de ma mère. Ils lui ont souvent tapé dessus, surtout mon grand-oncle et ses fils, et elle se vengeait sur moi. Mon père prétend qu'elle m'aimait mais moi je n'y crois pas. L'amour aurait dû l'empêcher de m'enfermer dans le placard, de me jeter de l'eau à la figure quand elle était en colère ou de me maltraiter. Mais je ne lui en veux pas, en revanche je déteste mon grand-oncle, ses fils, mes cousins, tous, je les hais, et tant qu’à faire, je hais les hommes en général, sauf mon père évidemment.
•• Mon père, mon papa adoré, a fini par accepter l’inacceptable. Aussi fou amoureux de ma mère qu’il était, il fallait qu’il me protège, et il savait qu’il ne pouvait pas me laisser avec ma mère. Il fallait qu’il se sépare d’elle ou de moi, et c’est moi qu’il a choisi. Je sais que ça l’a détruit. C’est un homme beau, fort, riche, qui a un travail très prenant, avec beaucoup de responsabilités, et il l’est toujours aujourd’hui, mais à l’intérieur, il y a un vide que même moi je ne pourrai jamais combler. C’est ainsi que j’ai grandi, en Corée, mon pays, avec mon père qui m’a aimée, ne m’a jamais abandonnée, mais qui a passé la plupart de son temps à me parler de ma mère, une femme si belle, si douce, si tendre, si amusante, si généreuse, si chaleureuse, bref, une femme que moi, je ne connaissais pas. Mais c’est comme ça, c’est sa malédiction à lui, pas la mienne, et j’ai fait ce que j’ai pu pour être là pour lui, et à nous deux, on s’est débrouillé pour être heureux, et nous le sommes aujourd’hui encore, malgré le vide, l’absence, ce trou dans l’air qui suit partout mon père.
•• Si je pouvais, j’épouserais mon père. Non je ne suis pas dingue, enfin pas encore. Mais pour moi c’est le seul homme sur cette planète qui vaille le coup et c’est évidemment parce que les autres hommes de ma vie ont été infâmes que je l’idéalise, et c’est parce que je l’idéalise que j’ai tant de mal avec les hommes. C’est super simple – mais impossible à régler, comme problème.
•• J’ai très tôt commencé à chanter. Quand je vivais en Chine, je me cachais pour chanter. Il se trouve que je tiens ma voix de ma mère, qui adorait chanter elle-même, paraît-il, mais quand elle m’entendait chanter, elle me giflait encore et encore ou m’enfonçait la manche de son pull dans la bouche. Mais dès que je suis revenue en Corée, j’ai pu m’en donner à cœur joie, et comme pour tout le monde, ma passion m’a aidée à grandir, à me développer à peu près normalement, à m’exprimer, à surmonter les épreuves. C’est très simple là encore. Et quand, vers dix ans, j’ai exprimé tout haut mon envie de faire du chant mon métier, mon père ne s’est pas moqué, ne m’a pas découragée, ne m’a même pas demandé d’y réfléchir une minute. A partir de ce jour-là il m’a soutenue, encouragée, emmenée aux cours de chant qu’il me payait, aux auditions, et cela a payé. C’est lui qui m’a inscrite à une audition pour la New Generation et qui a négocié mon contrat évidemment.
•• Je suis devenue une trainee, la période de mon adolescence que j'ai le plus détesté, ou alors c'était juste l'adolescence en général. Séparée de mon père, seule, et aussi têtue et stupide que tous les autres trainees, forcément, il y a eu des moments difficiles, mais j'ai aussi rencontré des gens qui sont aujourd'hui de véritables amis. Puis j'ai débuté en tant que rookie dans un groupe éphémère, Cute-Connection, vers 16-17 ans, qui servait sûrement de test pour voir quelles filles lancer pour de bon. Certaines d'entre elles sont dans des groupes au top du top maintenant. Et j'ai enfin débuté comme chanteuse solo, même si ma toute première apparition publique a été une collaboration avec un sunbae déjà super célèbre. Je crois que c'est l'un des meilleurs souvenirs que je garde de mes débuts, j'ai adoré ça, je l'ai adoré, lui, et à ce moment tous les sacrifices, toutes les années de doute, de travail, de souffrance, ont soudain pris un sens : je touchais du doigt une partie de mon rêve et cette sensation, je ne l'ai jamais oubliée, c'est elle qui m'a guidée pour tout le reste de ma carrière.
•• A présent je suis une célébrité comme on dit, à l'apogée de ma carrière, j'en ai conscience. Dans quelques années, il faudra que je me pousse pour laisser la place à d'autres, mais en attendant je profite de chaque instant même si parfois ce métier m'épuise. Et pour ne pas me démotiver, pour ne pas dépérir de la routine, je me suis fixée cet objectif, ce rêve que je couve depuis toute petite, alors que je fouillais dans les CD de mes parents datant de leur jeunesse : je veux chanter à l'étranger, avec des artistes aujourd'hui au top.
•• Je ne vis plus avec mon père et cela me brise le cœur de l’imaginer tout seul à penser à ma mère. Il ne l’a jamais revue et maintenant que je suis adulte, j’ai assez de poids pour le lui interdire. Mais il ne l’oubliera jamais. Moi en revanche, ça va, je vis très bien son absence. Je sais aussi que mon père voudrait que je passe des tests, il a peur qu’en plus de sa merveilleuse voix, ma mère m’ait légué sa maladie. Bien évidemment, vous vous en doutez et vous feriez pareil à ma place, je refuse, parce que j’ai peur d’avoir moi aussi cette folie en mois, qui un jour peut-être se déclenchera. C’est le seul point sur lequel mon père et moi nous disputons. Je vais le voir le plus souvent possible et il me manque tout le temps, lui et moi nous n’avons que nous.
•• Aujourd’hui je vis exactement la vie que je voulais à la NG, je chante, je suis connue, j’ai de l’argent, le passé est derrière moi, mon père est fier de moi. Mais cela ne suffit pas – ça ne suffit jamais, n’est-ce pas ? J’en veux plus, je veux partir, chanter ailleurs, pour d’autres gens, rencontrer encore plus d’artistes, tous ces gens qui m’ont inspirée et qui m’ont sauvé la vie sans le savoir. Et puis évidemment, j’ai encore pas mal de problèmes à régler. Tout ça fait que, même en ayant tout ce que je veux, je ne suis pas satisfaite ou, pour le dire plus clairement, je ne suis pas heureuse. Cela fait de moi quelqu’un d’égoïste et j’en ai conscience. Et promis, j’y travaille. Je vais faire en sorte de changer encore les choses.