« Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel… », marmonne lentement Wansu tout en ralentissant juste assez pour avoir une bonne vue de ce qui était en train de se produire.

Il avait été appelé d’urgence pour intervenir sur une affaire… et pas besoin de dire que ce n’était pas pour son boulot à la New Generation. Au contraire, il avait eu un appel du fils aîné du parrain lui-même et bien que les affaires ne se lèguent plus tout à fait de génération en génération au sein de cette branche de la mafia chinoise, il n’en restait pas moins que son père en vie, c’était une grosse pointure. De fait, Wansu était obligé de recevoir ses ordres de la part de cette petite ordure pourrie jusqu’à la moelle et… eh bien, c’était une description qui lui irait tout aussi bien, pas vrai ? Mis à part que lui n’était pas un gosse de riche qui vivait aux crochets de papa. Bref, il avait dût tout laisser en plan, non sans grogner un peu dans sa barbe, avant d’attraper les clés de sa magnifique mais tape-à-l’œil Lamborghini Gallardo noire. Il était tard, près de minuit et il n’avait absolument pas envie de commencer à mettre du plomb dans la tête à des gamins de gang de rue qui ne savaient pas se tenir.

Mais c’est ce qu’il allait faire. Sauf que… quelque chose n’allait pas. Parce qu’au milieu de la guerre de rue qui avait éclatée peu de temps plus tôt, il y avait visiblement une victime très malchanceuse. De celles qui étaient tout simplement au mauvais endroit, au mauvais moment. Si habituellement, c’était le genre de donnée supplémentaire qui n’attirait pas vraiment l’attention de Wansu, cette fois c’est différent. Fronçant les sourcils, l’homme range sa voiture sur le côté de la rue, sort de celle-ci avec précautions pour éviter une balle perdue et glisse aussitôt une main dans la poche intérieure de sa veste pour y prendre son glock étampée d’une feuille de jade, symbole de la famille mafieuse qu’il servait. Des coups de feu pleuvaient et c’était un miracle que ce gamin n’ait déjà pas pris cher. Il avait réussi à se cacher derrière un casier postal, mais nul doute qu’une balle traverserait à un moment ou à un autre sa cachette fort basique.

Et ce gamin, Wansu le connaissait. C’était le tout premier gosse qu’il avait récolté pour la New Generation et qui venait justement de prendre du gallon. Le gamin d’un riche emmerdeur et… eh bien, mieux valait le lui ramener en un morceau, probablement. Wansu profite du chao général pour s’approcher de Jae Hwa, puisque c’est son prénom. Dès qu’il capte le regard du gosse, il lui fait signe de rester là où il était. Ce manque d’attention lui coûte presque la vie parce que soudainement, un type fonce vers le Chinois, arme à feu brandie. Tireur doué, Wansu n’hésite pas pour lui tirer en plein cœur, puis court rapidement jusqu’au jeune homme qui devait être mort de peur à l’heure actuelle. Il serre son bras sans douceur, le secouant un peu pour le ramener à la raison. S’il restait figé là comme un con, il ne s’en sortirait jamais, hein…! Et Wansu devait impérativement capter son attention une nouvelle fois.

« Eh ! Jae Hwa ! Regarde-moi ! », crie le mafieux par-dessus le tapage incessant de la rue. Ils étaient en guerre… Putain, mais qu’est-ce qui leur avait pris, à ces cons ?! En plein milieu de la rue !! Et il y avait des mafieux dans le lot ! Nul doute qu’ils se disperseraient rapidement, mais pour l’heure, on entendait déjà les sirènes de police. Et en plus, voilà que Jae Hwa allait se douter qu’il était dans la mafia ou au moins dans une organisation criminelle. Génial. « On doit partir. Immédiatement. Tu dois promettre de m’obéir au doigt et à l’œil. Capté ?! »

Il glisse une main sur la joue du joli garçon, le forçant à relever la tête pour planter son regard dans le siens. L’heure n’était pas à la rigolade… et ce gamin avait des tendances rebelles, mais là c’était vraiment pas le moment et il devait le comprendre. Finalement, Wansu en revient à la scène. Plus personne ne fait attention à eux.. et c’est le moment ou jamais. À distance, il active la porte côté passager de sa voiture, grâce à la petite manette accrochée à son porte-clés. Celle-ci se soulève et aussitôt, Wansu serre davantage le bras de Jae Hwa pour se précipiter vers la voiture. Il pousse un peu brusquement le garçon à l’intérieur, referme la porte, puis contourne rapidement la Lamborghini pour aller s’installer sur le siège du conducteur. C’est sur les chapeaux de roue qu’il redémarre, s’éloignant rapidement de la scène sans pour autant avoir réellement pu intervenir. Putain ! Ça lui apprendra à avoir bon cœur. Son boss allait être furax !

En silence, renfrogné, le Chinois ne pipe pas mots pendant près de vingt minutes. Il roule à toute vitesse, évitant vraisemblablement de suivre les lois de la route, grillant plus de lumières rouges que jamais. Et lorsqu’il s’arrête finalement, c’est à l’autre bout de la ville, dans un quartier calme. Il se tourne vers Jae Hwa, poussant un petit soupir.

« Qu’est-ce que tu fichais dans ce quartier à cette heure ? », demande Wansu, le ton un peu rude. Il tend la main, caressant une des joues du gamin avant de lui attraper le menton pour le forcer à le regarder. « Tu vois bien que tu t’attires des ennuis plus gros que toi, pas vrai ? »

Et parce qu’il savait malgré tout un peu comment manipuler, il prévient :

« Dire que ton père va être en colère quand il va savoir ça est un pur euphémisme… à moins que bien sûr, tu gardes pour toi ce que tu as vu là à mon sujet. Je garderai alors pour moi l’endroit où tu traînais et les soucis que tu t’es causé... »

Ça ne serait pas bon pour le boulot si son affiliation sérieuse à la Triade était connue. En fait, on le renverrait sans prime de départ…