La chose que je déteste voir arriver le plus va m'arriver un jour. Est-ce que quelqu'un détestera que ça m'arrive pour moi ?
C'est idiot, c'est maintenant que je me pose cette question...
« Kil Han !! On fait quoi maintenant ?
» me demande mon petit-frère alors qu'on s'enfonçait davantage dans la mer d'arbres. Mes pieds s'enfoncent lourdement dans la neige, parfait pour ne pas perdre pied alors que j'attrape Han Jil par la capuche, lui évitant une belle chute.
Nous étions normalement sous la garde de mon père cette semaine. Mais regardez-nous, là, en train de fuir en ce moment-même. Bah ! Nous ne sommes loin d'être à notre premier coup mais à chaque fois, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'on allait réellement devenir. Généralement, on finit toujours chez le premier voisin (qui se situait à des mètres voire kilomètres de la maison ridiculement isolée). Ou sinon, c'est le poste de police. Les policiers commencent d'ailleurs à nous connaitre à force... Mais je préfère être vu comme un petit voyou plutôt que de rester là-bas.
Là-bas... une maison froide et aussi ridiculement grande qu'éloignée de tout, comme je vous l'ai expliqué. Le grand Monsieur Choi n'est jamais là et je ne sais même pas pourquoi. En fait, je ne sais rien sur lui, pas même son métier. Un jour, j'oublierai son prénom ! Enfin, voilà, la maison est donc très vide et ce n'est pas notre gouvernante russe qui y réchauffe et comble les murs... Cette femme est tout simplement horrible. Anika Yoborovitch, aka Svetlanator. Parce que les femmes russes effrayantes s'appellent Svetlana dans la légende et... nator, pour Terminator évidemment.
Alors comprenez les deux gamins que nous sommes.
Je serre la main de Han Jil alors qu'il me regarde avec de grands yeux. Il semble tellement attendre de moi, si jamais le déçois... Il veut voir ce que fait un grand-frère réfléchi... Mais ça, ce n'est pas mon fort, être réfléchi...
► I'VE NEVER BEEN PERFECT. BUT NEITHER HAVE YOU
Je lève un peu les yeux de mes devoirs. Depuis notre petit salon, je vois ma mère s'affairer dans la cuisine en écoutant de la musique. Elle ne chante pas très bien mais c'est un son merveilleux : cela était le son de la paix, le temps s'arrêtait et plus rien était dur, plus rien était embêtant, tout s'arrêtait, sans avoir fini mais en ayant commencé. Comme ces photos qui bougent dans Harry Potter. En fait, c'est ça oui : c'est magique.
Je croise son regard alors qu'elle cherche son couteau. Aussitôt alors, je me remets au travail pour ne pas l'inquiéter : elle n'a pas réellement besoin de s'en faire pour moi. Avec son travail instable à s'occuper justement des autres, je refuse de devenir un de ces sujets de travail. Je ne veux pas plus voir mon petit-frère Han Jil se coucher dans le canapé de son cabinet, aka aussi notre salon parfois.
Oui, ma mère est psychologue. Personnellement, je suis un écolier tout comme Han Jil. Sauf qu'il vient d'y entrer et moi, ce n'est qu'une question de temps avant que je n'en sorte. Je fais beaucoup d'efforts et en même temps, ce pour nous donner des chances de vivre mieux. Car notre père paie une pension de misère - merci les avocats, et notre nouvel appartement nous coûte cher en comparaison.
En fait, notre vie actuelle et nouvelle coûte cher. C'est la vie à Tokyo qui veut ça. Oui, cela va faire un an que nous sommes au Japon. Ma mère a fini par trainer mon père devant le tribunal encore et les inspecteurs de police ont été ravis de dire qu'ils nous retrouvaient toutes les semaines à leur poste. Elle a obtenu la garde et on ne devait voir notre père que lors des vacances. Mais bon, il ne changera plus et finalement, on le voit jamais. Lui et sa fichue fierté et son avarice...
Une assiette est posée à côté de mes livres et je sens la main de ma mère dans mes cheveux.
« Mange, Kil Han... C'est bien beau que de vouloir devenir intelligent mais si tu meurs de faim avant !
» Je souris et me jette sur mon assiette alors que mon frère a déjà commencé. Ce glouton...
Maman... Ses yeux pétillent en nous regardant. Mais je vois bien son inquiétude. Maman, un jour, je serai meilleur que père et il remarquera combien... combien il n'était rien. Surtout pour nous.
► I'VE DREAMED I WAS MISSING. YOU WERE SO SCARED. BUT NO ONE WOULD LISTEN. CAUSE NO ONE ELSE CARED
J'ai grandi depuis ces années de grande sagesse. Sous tous les angles : je suis déjà grand comparé à la population asiatique... Et si quand on me regarde, on voit désormais un adolescent, j'ai trop longtemps eu le comportement d'un adulte. J'ai dû jouer l'homme de la famille pour ma mère et un peu le père, pour mon frère. C'était plutôt épuisant et généralement, je ne réalisais même pas ce que j'étais en train de faire. Rapidement... j'avais peur d'achever les choses que je devais entreprendre, ne sachant même plus quand ou pourquoi je les avais commencé. Ce regard qu'on me jetait et que j'avais tant vu dans les yeux de Han Jil me faisait peur. Et si ils se mettaient tous à me regarder comme ça ? Pourquoi ?
Je fronce des sourcils en croisant la figure sombre de mon père. J'attends d'entendre son rire moqueur, d'entendre ses réflexions philosophiques (selon lui) et qu'il me dise combien je suis tristement vieux et presque fini pour un jeune. Mais il a faux.
Je ricane pour la première fois et lui pointe du doigt ses cheveux gris avant de me regarder dans un miroir au loin. Il comprend immédiatement et serre les lèvres : cette bataille, il ne peut la gagner. Je vivrai encore quand il sera mort et j'irai bien plus loin.
Oui, oui, retour en Corée. Cela en valait la peine, croyez-moi : j'avais été repéré pour quelques talents au Japon par une femme coréenne travaillant à une agence bien réputée. Si jamais je voulais avoir une chance de faire un truc dans ce domaine, je devais revenir en Corée du Sud. Mon père n'eut d'autre choix que de m'accueillir et ça réduisait la somme de la pension. Ce rapiat n'a pas hésité une seule seconde... Mais bon, me retrouver avec lui me donne l'occasion de lui montrer que son absence n'a eu qu'un seul effet : me faire le mépriser.
Au fond, je ne sais pas trop pourquoi... Je devrais en avoir rien à faire.
Heureusement, je ne dois pas passer tout mon fichu temps dans cette baraque. Il y a un truc bien chiant mais bien prenant de jour qui s'appelle Collège et étant nul en Hanja, j'avais de quoi faire pour me mettre au niveau pour comprendre les cours en coréen. Cette période est juste ce que j'ai toujours fait : plein de choses en même temps. Combinez l'entrainement, la mise à niveau en hanja et les cours, j'ai en théorie peu de temps techniquement pour avoir une vie sociale. Et pourtant...
Quand je rentre chez moi, il n'y a plus de Han Jil, ni de maman au bord de la crise de nerfs. Juste ce père fantôme qui raille à longueur de temps. Sa solitude est étouffante et triste, ça m'étouffe. Comme avant en fait. Alors comme à l'époque, je m'échappe...
Je vais souvent frapper à la même porte : celle de Chang Lee Envy. Depuis quelques temps, cette fille fait partie de ma vie. Il ne se passe pas un jour sans que je ne cherche sa présence et son oreille attentive. Pour une fois, je me sens... normal. Je me sens enfin adolescent. Peut-être demain, en me regardant dans le miroir, je me verrai moins vieux... grâce à elle.
► WHEN MY TIME COMES, FORGET THE WRONG THAT I'VE DONE. HELP ME LEAVE BEHIND SOME REASON TO BE MISSED
Je me regarde dans le miroir en souriant. Je suis impeccable, comme KILL se doit de l'être. J'aime ce que je suis devenu et j'aime enfin voir mon reflet. Je fais enfin mon âge et j'ai le sentiment de ne dépendre de rien. En sortant de la salle de bain, mon père me lance un regard noir auquel je réponds, satisfait, avec un simple haussement des épaules. Il se traine avec sa canne noire à l'intérieur et claque la porte sans m'adresser un mot.
Cela fait maintenant des années que lui et moi avons inventé un langage qui nous permet enfin de communiquer : le langage des expressions faciales. Autant dire qu'on est rodé niveau Poker avec ça !
J'ignore sa petite colère et saisit mon portable pour sortir rapidement : l'agence a besoin de moi à neuf heures et je suis déjà en retard sur mon planning. Mais ce que j'ouvre comme message va annuler tout.
« Kil Han, tu en as sûrement rien... à faire. Mais maman tient à ce que tu sois au courant. Elle va se marier à l'été prochain. Elle veut que tu sois là. Mais j'imagine que tu es trop bien avec l'autre. Fais-en ce que tu veux maintenant. Appelle-la elle. »
Je soupire. Les mots de Han Jil sont froids. Je devine facilement une pointe de colère, la même que j'avais pour mon père. Mais lui, il se trompe.
Pourquoi voulait-il tant me rejoindre ? Notre père était exécrable et ma vie, malgré les jolis sourires sur scène, était du n'importe quoi. Inconsciemment, en rangeant mon portable, je répète ce que je lui ai dis à trois reprises : hors de question que tu viennes ici, ne soit pas débile.
J'avance de quelques pas et saisis la poignée quand je réalise enfin : ma mère... va se remarier. Quand est-ce que c'est arrivé ça ? Je ne comprends pas : à quel moment a-t-elle rencontré quelqu'un ?
Un vertige me prend alors que je réalise que tout m'échappe. J'ai toujours été l'homme de la maison pour elle. Je pensais vraiment que ça me fatiguait cette pression et attente constante mais... pourquoi ça me fait si peur ? Pourquoi ai-je l'impression qu'elle... qu'elle m'échappe ?
C'est comme si ma famille... divorce officiellement de moi.
Mon cœur me serre, chose très rare. Mais aucun doute j'angoisse et qu'une seule raison à ça : une fin arrive, la fin d'une façon de vivre, d'une famille, de quelque-chose que j'ai laissé en plan... et comme toute fin ou aboutissement, je la redoute.
Comme d'habitude, dans ces cas-là, qu'un seul nom me vient en tête : Envy. En fait, je ne réfléchis même pas. D'eux-mêmes, mes pas me mènent là où je la trouverai. Encore une fois, j'attends qu'elle soit là, qu'elle m'écoute, qu'elle m'aide avec ça et le crétin d'assistant à l'agence... Alors pourquoi, elle aussi, elle s'y met ? Envy et moi nous disputons jamais : elle hurle plutôt sur moi. Depuis quelques temps seulement en fait et je n'aime pas ce changement. Je ne la prends vraiment pas au sérieux. Je dis ça mais en réalité, je l'écoute à peine. Je ne sais même pas pourquoi elle crie. Non, moi, j'attends juste que ça passe pour que je puisse poursuivre l'exposition de mon problème.
Alors quand elle me fait comprendre qu'on ne se reparlera plus... ça ne me fait rien. Comme d'habitude, je décide d'attendre que ça lui passe. Même si sa crise existentielle me tape sur le système.
Que ça puisse durer ? Mais non ! Envy, ma bonne vieille Envy ne changera pas et me reviendra comme d'habitude... il le faut... car sinon... je pense que... que je finirai un jour comme lui. Mon père. Seul et aigri. Avec personne pour me regretter. Personne pour entendre que ce que j'ai fais avait quand même de bons côtés. Juste personne...
A force de vouloir faire mieux que Monsieur Choi, j'ai peut-être réussi... mais je suis aussi devenu pire que lui... Je me dis juste que si Envy reste, c'est qu'il y a encore de l'espoir pour moi, non ?
► PRETENDING SOMEONE ELSE CAN COME AND SAVE ME FROM MYSELF
Je me suis réveillé il y a deux ans dans un lit d'hôpital avec un mal de crâne affreux. Personne ne me disait rien. Je croisai quelques regards attendant de moi que je me souvienne d'eux ou fasse un truc mais... ça ne m'inspira qu'une chose : Han Jil.
Visiblement, j'avais partiellement perdu la mémoire, oubliant même la mort de mon père quelques jours auparavant. Mais de ce que j'en ai entendu, je ne m'étais même pas présenté à l'enterrement.
Retourner dans la maison fut trop dur dans ces circonstances : j'avais l'impression d'être l'ombre de mon père et étant à nouveau dans ma tête de gamin, ce fut insupportable.
J'avais fuit mes responsabilités et passé mon temps à tout oublier (ironique vu la situation). Je pensais vouloir dépendre de rien mais je refusais surtout qu'on dépende de moi. Mais je n'attendais aussi que ça. Alors comme bon prisonnier, je suis retourné sur le chemin de ma prison : à la quête de ma famille. Vu que j'ai tout planté avec eux, je veux... changer tout ça. Changer avant... que le virus en moi me ronge.
Cela fait deux ans, comme je vous l'ai dis. Deux ans que je fuis aussi une maladie qui va inévitablement me tuer. Le temps m'est compté et j'ai tant à faire : retrouver mon frère qui est finalement en Corée du Sud... et mettre un nom sur cette voix que je ne cesse d'entendre... La même mélodie, le même son qu'avant mon accident. J'ignore encore pourquoi mais je le sais : c'est important.
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