A bout de souffle, je m’arrête enfin. Mes muscles commençant à me lancer sérieusement, je songe qu’il est sûrement temps que je m’arrête ici. Tâchant de calmer ma respiration, je jette un coup d’œil à l’horloge murale et constate que l’heure est déjà bien avancée ; vingt-deux heures passées. La musique s’élevant toujours de la chaîne hi-fi, je vais baisser un peu le son avant de faire quelques étirements au sol pour mettre un terme à ces deux heures de répétition intensives. A cette heure-ci, les autres membres de FTO doivent déjà être au dortoir, en train de traînasser ou de roupiller… Et vu mon état de fatigue actuel, je rêve d’aller m’étendre à mon tour ! Mes étirements terminés, je viens éponger mon front luisant de sueur avec une serviette. Je fais doucement craquer les os de ma nuque en tournant doucement la tête, laissant mon esprit vaguer à différentes considérations. C’est vraiment une aubaine que de vivre au dortoir du groupe. C’est certes un grand chamboulement dans mon quotidien, ayant été accoutumé à vivre avec mes parents jusqu’à dès lors, mais… Je m’y fais bien, même si du coup j’ai moins le temps de les voir, et de rendre visite à Min Ah. Enfin, l’avantage pratique est que je peux rester tard à l’agence, sans avoir à être préoccupé sur l’heure de ma rentrée. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, la NG n’est toujours pas vide à cette heure-là, entre les émissions enregistrées en direct, les réunions en tout genre et le staff qui continue à s’affairer jusqu’à tard. Pourtant, je suis bien le seul – aujourd’hui tout du moins – à squatter un studio de danse pour répéter inlassablement une chorégraphie. La logique aurait voulu que je la travaille avec les autres membres du groupe, ou que je demande à Dong Jung de m’accompagner, mais non. Les voyant fatigués après une grosse journée, je leur ai demandé de se reposer, tandis que moi, encore débordant d’énergie, j’irai répéter pour être prêt demain. Pas que j’ai des lacunes ou que je sois à la masse pour l’instant, mais sur le moment j’ai préféré continuer à me perfectionner. Et là c’est bon, je suis satisfait ! De toute façon, je crois que j’ai atteint à ma limite, et par crainte de finir par m’esquinter, je préfère m’arrêter. Il ne faudrait pas que je m’étire un muscle maintenant !

Musique et lumière éteintes, c’est satisfait de moi que je quitte finalement la salle. Serviette entre les mains, sac sur le dos, je me rends vers les vestiaires pour me rafraîchir et me changer. Arrivé dans les lieux déserts, je me débarrasse rapidement de mes vêtements pour filer sous une douche brûlante, ne pouvant retenir un bâillement. Je préfère ne pas trop m’attarder, songeant que les autres doivent m’attendre au dortoir. Tout juste le temps de me savonner et me rincer, c’est dans un frisson que je me faufile en dehors de la coulée d’eau chaude pour m’enrouler dans une serviette. Rapidement séché, j’enfile tout aussi vite des fringues propres avant de récupérer mes affaires et sortir du vestiaire. Direction le dortoir, mon pas se presse, impatient que je suis de retrouver mes compères et de pouvoir me reposer quelques peu. J’entends plusieurs personnes s’affairer au loin, mais ne croise personne. Les couloirs, encore éclairés sont déserts à cette heure-là… Ce qui change bien des journées ou ils sont bondés, entre les trainees qui courent à leur cours, les rookies à leurs enregistrement et les idoles qui ne savent plus où donner de la tête. Sans oublier les membres du personnel qui trimballent papiers, vêtements, accessoires et autres montagnes d’attirail pour tous. A voir ces lieux vides, je ne peux m’empêcher de fredonner l’air de « Boulevard of Broken Dreams », le regard en l’air. Mes yeux viennent pourtant bientôt s’accrocher sur un changement dans le décor ; j’aperçois une silhouette au fond du couloir, qui avance en ma direction. Je regarde plus attentivement, et reconnais la personne en question ; Summer Jun Hee. Malgré un sourire, je ne peux pas retenir une déglutition peu agréable. Ça fait un moment que je ne l’ai pas vu, ou tu du moins… Que l’on ne s’est pas vraiment adressé la parole. J’aimerais pouvoir me complaire dans l’idée que les résultats de l’audition pour les FTO n’ont rien à voir, mais je ne suis pas stupide. Chagriné par le fait que l’on se soit perdu de vue en si peu de temps, je me risque à lui adresser la parole. « Salut Jun Hee ! Toujours à l’agence à cette heure-ci ? » dis-je sur un ton que je force à être jouasse. Un petit silence survient tandis que je lui adresse un sourire qui se veut chaleureux, avant que je ne reprenne la parole pour pallier ce petit malaise. « Comment vas-tu ? »

Je suppose que j’aurais dû m’y attendre. Evidemment, je savais avant que je ne prononce ces mots que Jun Hee n’allait pas me saluer tout sourire comme il le faisait avant. Mais de là à ce qu’il essaye de me foutre un vent, me passant à côté minant de ne pas me voir… C’est clair que je ne m’y attendais pas. Je suis surpris, dans le mauvais sens du terme. Déçu, certainement. Mais bon, je ne me démonte pas quand il me fixe d’un regard froid. Je me contente d’essayer de garder cet air avenant au visage, ce qui n’est pas évident… Même pour moi, qui n’ait pas besoin de grand-chose pour sourire ou rigoler. Mais le voir me considérer ainsi m’agace dans une certaine mesure, c’est certain. Alors forcément, la suite ne fait que me mettre d’autant plus mal à l’aise. Une réponse plate, avant qu’il ne remue le couteau dans une plaie encore béante. Le fait qu’il appuie bien sur ce point-là vient pour de bon confirmer mes hypothèses selon lesquels il m’en veut d’avoir réussi l’audition… Et pas lui. C’est vrai qu’au début je m’en voulais. Mais dans un sens, j’y peux rien, si ? Ce n’est pas moi qui faisais partie du jury. Et je ne dis pas ça avec une quelconque once de vantardise ; Jun Hee et moi avons un niveau comparable en dance, donc ça a du se jouer à quelques infimes détails près. Mais bon, c’est vrai que j’ai beau m’efforcer de passer outre tout cela, j’ai l’impression que ce sont les des efforts vains que mon vis-à-vis continue inlassablement à tirer la tronche. Ce qui n’est pas très encourageant, pour sûr ! Enfin, je réponds tout de même à ses questions avec un sourire doucement esseulé ; « Ca va, ça va. Et non, je répétais en solo là, je vais les rejoindre au dortoir seulement maintenant. »

Je ne tiens pas à remuer à mon tour le couteau dans la plaie, loin de là. Je dois bien répondre à ses questions, non ? Et en l’occurrence, c’est lui qui a lancé les hostilités, si j’ose dire ainsi… Donc je ne peux que limiter la casse. Pourtant, je m’aventure en terrain miné quand j’ose demander au sujet de sa carrière ; « Et euh… Comment ça se passe de ton côté ? » Ce n’est pas une fausse politesse, je suis vraiment curieux. Même si nous sommes brouillés, je tiens tout de même à savoir ce qu’il est devenu… Et vrai que depuis les débuts de FTO, je n’ai plus trop le temps de me tenir au courant des nouveaux groupes et nouvelles adhésions. Et je ne fais pas ça non plus pour le provoquer… Même si j’ai conscience que ma question peut sembler maladroite. Pourtant, mes interrogations sont toutes légitimes, je cherche juste à détendre un peu une tension palpable. J’imagine qu’à ce stade-là, je peux juste espérer que ma répartie n’énerve pas Jun Hee, et qu’il ne l’interprète pas comme une simple provocation.

Spoiler:

Pourquoi faut-il que je m’entête tant ? Ça ne me ressemble même pas. Je suis quelqu’un de persévérant quand je dois faire des efforts dans le cadre de mon travail, c’est vrai. Mais ma persévérance ne s’applique pas à tout. Dans les relations sociales par exemple ; je ne suis pas du tout patient. Quand je sens que quelqu’un n’est pas sur la même longueur d’onde que moi, je ne m’entête pas. Dong Jung était jusqu’à la sûrement la seule exception. Et maintenant, Jun Hee. Tous les deux pour des raisons fondamentalement différentes, certes. Il n’empêche que mon côté têtu ressort vachement en l’occurrence. Sûrement parce que j’ai du mal à tracer un trait sur cette vieille amitié que je ne veux pas oublier. Et quand je tiens mordicus à garder quelque chose en mémoire, rien ne peux me résigner, ou me faire oublier. Rien, et je m’y accroche, encore et encore, comme quelqu’un qui essaye de s’accrocher aux parois glissantes quand on tombe dans un gouffre. Alors oui, je m’entaille les mains, je sais. Mais je ne veux pas renoncer, même si je suis blessé. Car oui, je suis blessé de tomber dans le déni, l’indifférence, l’oubli, voire même le mépris. Je ne peux pas prétendre être dans la tête de cet ancien ami, mais c’est pourtant l’impression qu’il me renvoie en agissant comme il le fait en ce moment. Mais plus que d’être blessé, je me rends compte aussi que je suis énervé. La souffrance mène à la haine, comme disait l’autre. Enfin, la haine. C’est pour l’instant un terme bien fort ; je ne haïs pas Jun Hee, mais sa conduite me rend tendu et me mène doucement vers la colère. Mais pour l’instant, je préfère faire fi de ces sentiments négatifs et de rester tel que je suis. Souriant et avenant, dans l’espoir que ça ne passe pas pour de l’hypocrisie… Mais malgré moi, je sais que je me leurre à ce sujet. Car oui, en quelques part, c’est le l’hypocrisie. Je nie des sentiments montants pour continuer à m’accrocher, en espérant que je pourrai de nouveau me hisser vers le haut.

Je sors de toutes ces pensées, ou tout du moins j’essaye, pour me faire attentif aux quelques nouvelles que Jun Hee me donne. Il m’apprend alors qu’il a été intégré dans un groupe de trainees, Wonderland. Sans être très renseigné sur le sujet, ce nom ne m’est pas inconnu. Je me complais alors dans l’idée que le fait qu’il soit dans ce groupe lui fera ravaler sa rancœur vis-à-vis des FTO. Et c’est malgré moi, que sur un ton qui sonne un peu faux, que je m’enjoue ; « Oui j’en ai entendu parler un peu ! C’est cool, j’suis vraiment content pour toi ! » Ce n’est pas en mensonge. Tout du moins, pas tout à fait ; disons plutôt que je suis soulagé d’apprendre cette bonne nouvelle. C’est peut-être con et égoïste, mais comme dit précédemment, j’espère qu’être membre des Wonderland lui fera oublier sa rancune… Et que peut-être du coup, nos termes pourront s’améliorer. Tout du moins, je l’espère vraiment !

Si jusqu’à là, sa conduite n’est pas des plus agréables, Jun Hee semble à son tour faire un pas vers moi pour discuter un peu avec moi. Rien de bien passionnant, il me demande tout juste sur quoi je m’entraînais à l’instant. De quoi me donner un léger sourire aux lèvres, un peu de baume au cœur, et de la matière pour discuter. Oui, je ne recule vraiment devant rien quand je suis entêté comme je le suis. J’évite pourtant de trop m’étendre, histoire d’éviter de raviver une quelconque jalousie de sa part ; « Oh ! Je bossais juste une choré’ qu’on a appris il y a pas longtemps, histoire que je sois vraiment paré. Et toi, tu faisais quoi pour être ici à cette heure ? » je lui demande en retour, curieux que je suis.

De quoi donner du baume en cœur, hein. De quoi me rassurer, me donner plus d’espoir sur une possible réconciliation, aussi. Bien de belles et surtout, naïves pensées qui me font croire que je peux discuter avec lui en toute insouciance, comme si de rien était. D’accord, peut-être pas à cet extrême là, mais je n’en suis pas loin pourtant. Sa prochaine répartie a de quoi me glacer sur place. Faire remonter une douce exaspération que je préfère prendre sur moi. Ces mots ont traversés ses lèvres d’une façon si spontanée que j’ai l’impression qu’ils les avaient sur le bout de la langue, les retenant tant bien que mal… Sûrement était-il impatient de les dire, je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, ça me chagrine vraiment. Mon sourire se fane sur le champ. Je soupire profondément, mon regard fuyant le sien pour balayer le couloir vide. Pourtant, je ne prends pas la fuite ; je suppose qu’une mise au point est nécessaire, de toute façon, que je peux toujours courir si je veux qu’on se réconcilie sans qu’on revienne sur cette affaire. Je reviens planter mon regard dans le sien, tout air joyeux ou avenant disparu de mon visage. « Non, Jun Hee. Je me fiche pas de toi, j’essaye juste de faire en sorte qu’on puisse passer l’éponge sur ça, parce que ça m’attriste qu’on soit brouillé pour une broutille comme celle-ci. » dis-je sur un ton plus froid qu’à l’accoutumé. Une broutille ? Enfin, qui dit que si j’avais été à la place de Jun Hee, et lui à la mienne, je ne l’aurais pas eu mauvaise ? Sûrement ma nature peu rancunière, joviale et persévérante. Mais bon… Clair que j’aurais sûrement été déçu, peut-être un peu jaloux aussi.

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