C’est dans Jung-gu que Wansu était présentement, son quartier de résidence et pourtant, à son plus grand damne, il n’était pas chez lui et ce, au minimum pour toute la nuit. Ce n’est pas de bon cœur qu’il était pourtant chez une femme très séduisante. Étonnant, venant d’un homme qui collectionnait les conquêtes, mais il fallait connaître la bête pour comprendre. La bête, c’était Liu Jia Li… la fille adorée du parrain qu’il servait avec fidélité. Mais il ne vouait pas la même fidélité à l’enfant chéri de l’homme et pour cause : elle devait reprendre l’affaire familiale au décès de son père. C’était une aberration comme il n’en avait jamais entendu. Une femme tenant, tout au creux de ses mains délicates et parfaitement manucurées, le pouvoir immense d’une des plus grandes Triades. Cette femme avait même un jour été petit garçon. Ça le dégoûtait complètement… Elle n’avait même pas été élevée décemment et oui, il se permettait de juger son parrain puisque celui-ci ne semblait pas avoir les idées en place lorsqu’on en venait à parler de cette potiche ! Potiche qui s’activait présentement dans la salle de bain pour se préparer pour la nuit. Et elle prenait touuuuut son temps…

Un long soupir ennuyé franchit le seuil des lèvres de Wansu. Debout face à la grande baie vitrée de son chic appartement de Jung-gu, il se tenait immobile et imperturbable. Mains dans le dos, droit comme un « i », le métis pinçait les lèvres, beaucoup moins détendu qu’il ne voulait le faire croire. Un futon allait être posé pour lui, bientôt, il ne savait même pas encore où. Le mieux aurait naturellement été dans la chambre de Jia Li, mais il n’en avait absolument pas envie. Le souci, c’est qu’il était ici parce qu’elle avait reçu des menaces de mort aujourd’hui et qu’il était donc sa garde rapprochée. Wansu avait conscience de la grande confiance que le parrain avait en lui pour lui confier sa fille chérie, mais ça ne voulait pas nécessairement dire qu’il était reconnaissant… Pour lui, ça signifiait plutôt une baisse de rang même s’il touchait une prime salée pour garder la fille en vie. C’était bien la moindre des choses… Il n’avait jamais été un homme de main et le devenir le rendait particulièrement irritable…

La porte de la salle de bain s’ouvre finalement. Il s’écoule un long moment avant que finalement, son regard ne croise la silhouette de la femme ou plutôt, son reflet dans la baie vitrée. Indéniablement séduisante… mais ses poings se serrent pourtant. Ah, elle l’agaçait à respirer le même air que lui ! De nos jours, la mafia n’était plus un héritage. À la mort de son père, Wansu ne protégerait pas Jia Li des hommes assoiffés de pouvoir qui désireraient le rôle de parrain…

« Princesse a fini de se préparer pour la nuit ? », demande lentement Wansu, le ton dédaigneux. « Vous auriez pu finir morte noyée sans l’aide de qui que ce soit à la quantité d’eau que vous avez utilisé, très chère. »

Oui, il était adorable lorsqu’il s’y mettait, il savait… L’homme ne se tourne toujours pas, même si c’était là un flagrant manque de respect. Il se contente d’observer la ville en contrebas, bien que son regard en revienne immanquablement à la fille du chef. Lui aussi allait devoir faire un détour par la salle de bain. La journée avait été longue entre ses tâches de mafieux et celles de recruteur de talent à la New Generation. Et pour ne rien aider, Jia Li travaillait au même endroit que lui. D’ailleurs, son père avait trouvé que c’était une « chouette » coïncidence. Un affreux malheur aurait été mieux choisit, mais Wansu s’était contenté de lui offrir un petit sourire sans joie que le parrain avait mal interprété. C’était probablement mieux ainsi, sinon il aurait pu être accusé de trahison, carrément. Et Wansu tenait à ses doigts. Tous ses doigts.

« Est-ce que je peux avoir les informations supplémentaires, maintenant ? Je crois que j’ai assez attendu et que je mérite au moins qu’on me dise de quoi je dois vous défendre… », fini par trancher Wansu, peu ravit qu’on lui ait fait des cachoteries par « prudence ». Et encore moins qu’on lui ait dit que la dame lui expliquerait tout… Quelle façon peu reluisante de lui manquer de respect. Une femme… et puis quoi encore ?! N’avait-elle donc rien à faire à la cuisine ?! « Est-ce qu’une autre mafia a quelque chose à voir dans toute cette histoire ? Je ne veux pas d’ennuis avec les Yakuza… Dites-moi au moins que vous n’êtes pas responsable de votre sort. Ça me soulagera peut-être un minimum. »

Parce que si c’était elle qui s’était mise toute seule dans la merde, il n’allait plus répondre de ses actes !

Toutou ? Wansu pince les lèvres dans une attitude austère. Comment osait-elle… De nos jours, malheureusement, on avait oublié la place que devait occuper le sexe faible dans le quotidien et ça le rendait vraiment fou de rage, par moments. Habituellement, les femmes gravitant autour de la mafia appartenaient toutes à un homme. Elles n’étaient pas mafieuses, mais femmes de mafieuses et savaient généralement rester à leur rang. Loin d’être dénudé de pouvoir, néanmoins, lorsqu’elles étaient assez brillantes, elles savaient tirer les bonnes cordes dans l’obscurité tout en laissant leur mari récolter les honneurs. C’était ça, une vraie femme de la Triade. Ce qu’il avait devant lui, c’était une affreuse mégère incapable de reconnaître ses limites et pas assez brillante pour s’en fixer elle-même. Avec tout le respect qu’il devait à son père, il n’en restait pas moins que Wansu répugnait la façon dont il avait raté l’éducation de sa fille unique. Il n’allait pas lever le petit doigt à la mort du parrain… et il allait admirer le spectacle, parce que nul doute qu’ils allaient être nombreux à réclamer la place qu’elle se croyait acquise par la naissance. Mais quand on vit comme une souillonne, on ne devient pas princesse du jour au lendemain. Elle aurait dût le savoir…

Au final, ces constatations mettent un peu de baume au cœur de Wansu qui a finalement un sourire pour la femme. Il glisse ses mains dans ses poches, sans la quitter du regard.

« Attention. La morsure d’un chien imposant ne pardonne généralement pas. Ce serait dommage de défigurer une si… », commence Wansu, s’interrompant néanmoins dans un air de fausse surprise. « Une si jolie femme » aurait été la fin traditionnelle de cette phrase, mais… « …non, en fait je n’ai rien dit. Tout le monde s’en fiche comme de l’an quarante. »

En tout cas, la jeune femme ne lui faisait guère confiance. Sentiment partagé… L’ombre d’un sourire se dessine de façon très brève sur le visage du métis alors qu’elle évoque l’idée de crever dans une flaque de sang. Presque poétique, tout ça… Sauf que le souci, c’est que même s’il avait voulu se faire la malle –et il le désirait d’une puissance…!–, il ne pouvait pas. Papa veillerait à lui faire regretter d’avoir faillit à sa tâche, que Jia Li y laisse la peau ou pas. Pas facile à tous les jours, la vie d’un mafieux, aussi bien vu du parrain soit-il, comme c’était justement le cas de Wansu.

« Quel délicieux fantasme. », convient le mafieux, la mine dédaigneuse. « Mais, un peu salissant malgré tout… »

Il pousse un petit soupir, sortant une main de ses poches pour en balayer l’air devant lui, montrant ainsi que les paroles de la jeune femme étaient on ne peut plus futiles. Celle-ci tourne finalement les talons et Wansu a un petit soupir. La soirée risquait d’être drôlement longue… Lorsqu’elle revient, il est toujours au même endroit, visage grave et dos bien droit. Elle a une tasse de thé à la main mais bien sûr, rien pour lui. Ouais, ça allait être vraiment long…

« J’aimerais bien partir, peut-être même pour passer la soirée avec une vraie femme, mais c’est impossible et vous le savez tout aussi bien que moi. », déclare Wansu, agacé. « Alors je dois jouer les babysitters ce soir et m’abaisser à me casser le dos sur votre royal canapé. »

Franchement, il espérait que la situation allait se calmer rapidement et que dès demain, il aurait la chance de dormir dans son propre lit ! La fille de son patron reprend la parole et, pendant ce temps, il lui tourne le dos pour calmement aller s’asseoir dans un fauteuil, royal. Il la toise de son poste, alors qu’elle… lui fait quoi au juste ? Elle pensait vraiment qu’elle était en train de lui en apprendre, là ? Wansu lâche un regard sombre à Jia Li alors qu’elle lui fait son petit exposé sur les alliances de leur famille…

« C’est une blague ? Vous me prenez pour un imbécile, ou quoi ? Je suis au Japon plus souvent qu’à mon tour, au point d’y avoir une résidence secondaire. Vous ne m’apprenez rien de nouveau. Ce qui m’intéresse, c’est plutôt ces quelques clans qui refusent de porter allégeance à qui que ce soit. Ils sont beaucoup plus dangereux que vous ne semblez le croire et vous devriez vous en méfier… », gronde Wansu, n’aimant guère qu’on lui fasse la morale. Et en plus, elle lui parlait de mission qu’on lui confiait ! À elle ! Une femme ! Son poing s’abat sur l’accoudoir du fauteuil, furieux. « Le rôle des femmes n’est pas de courir à gauche et à droite au gré de leur fantaisie ! Si ce n’était que j’admire énormément votre père… »

Il lui referait une éducation, à celle-là ! Quoi qu’il en soit, il remarquait qu’elle ne savait donc pas ce qui se passait, bien qu’elle ne l’ait pas dit de cette façon. Wansu se perd un petit moment dans ses pensées, glissant une main dans sa tignasse d’ébène. Il se relève finalement, faisant quelques pas dans le salon avant de finalement marmonner :

« Vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je me pose un peu plus confortablement. La journée a été longue et la nuit promet de l’être encore plus… »

Ce disant, il retire sa veste de costume pour la poser sur l’accoudoir du canapé. Sa chemise est à moitié déboutonnée, ses manches soigneusement roulées sur ses avant-bras et sorties de son pantalon. Ceci fait, il se pose à nouveau dans le fauteuil, impérial. Son arme à feu est posée sur une de ses cuisses, histoire d’être à portée. Et pas besoin de la cacher devant celle-là… C’était rare, mine de rien.

« Nous aurons plus de renseignements dès demain. », fini par convenir l’homme. « En attendant, soyez sage. Et ne quittez plus cette pièce sans me le dire, que je vous précède. »

On est jamais trop prudent. Et à la tête qu’il tirait, ça ne plaisait pas plus à Wansu qu’à Jia Li, sûrement !