Plus jamais. Non, sérieusement, plus jamais je ne boirai autant. Je dirais même plus ! Plus une seule goutte d’alcool. Que ce soit vin, bière, ou même un plat à base de cet enivrant liquide. Bien sûr que j’y crois ! Ce ne serait qu’une énième fois que je prends cette stupide résolution. Une énième gueule de bois dont j’ai du mal à me remettre. Je le savais pourtant, que le lendemain serait pire que difficile ! Et il a fallu que je boive comme un trou, une fois encore… Enfin, boire comme un trou, tout est subjectif. Quand on voit que je tiens l’alcool moins bien qu’un enfant, il ne me faut pas grand-chose pour je termine la tête dans un seau. Et pourtant, ma fierté de petite femme me hurle toujours de défier le premier venu à un concours de descente. Et à mon plus grand malheur, je finis toujours mon verre plus rapidement que mon rival, qui reste bouche bée… Mais en général, je ne tarde jamais à filer aux toilettes les plus proches pour finir dans un état pitoyable. C’est désespérant, et à chaque fois je me réveille avec une de ces hontes... Vous n’avez pas idée ! Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de recommencer à chaque fois. Je ne suis pas alcoolique, loin de là… Mais comment voulez-vous résister en soirée, quand on vous propose quelques verres ? Ben oui, c’est impossible !

Bref, c’est avec un atroce mal de crâne que je me réveille. Dieu merci, je ne travaille pas ce matin, j’ai donc tout mon temps pour me préparer et arriver dans un état tolérable à l’agence. Et si je pourrais encore m’accorder quelques heures de sommeil, mon mal de tête m’en empêche. Aussi, c’est avec une lenteur toute calculée que je me redresse, pour rester assise sur le matelas, le front déposé dans les mains. J’ignore combien de temps je reste ainsi, je sens tout juste un martèlement dans mon cerveau. Par chance, j’avais eu la bonne idée de laisser un verre d’eau et une boîte d’aspirine sur ma table de chevet, aussi ai-je bien vite fait d’immerger un cachet blanc dans le liquide. Le temps que le médicament ne se dissolve, je regarde autour de moi, les yeux à peine ouverts, pour constater l’étendue des dégâts. Par chance, ce n’est pas le bazar ; j’ai juste abandonné mes fringues au hasard sur le sol. Je mène le verre à mes lèvres pour en boire le contenu, avant de me lever et aller me préparer un café. En attendant qu'il ne soit prêt, un petit tour à la salle de bains s’impose. Je me faufile dans la cabine de douche, laissant échapper un petit cri quand c’est une eau glacée qui coule… Bon, au moins ça a le mérite de me réveiller d’un coup ! Je me savonne et me lave les cheveux rapidement, me rince et sort finalement, emmitouflée dans une grande serviette. Le temps d’être séchée par le chauffage mis à fond, je me brosse les cheveux, les coiffer et me débarbouille avant de faire une touche maquillage, pour ensuite filer dans ma chambre et enfiler quelques fringues choisis au hasard. Bon sang… Je prie pour que ma mise soit convenable ! Je ne suis vraiment pas en état de vérifier si mon maquillage est correct, ni même si mes vêtements sont assortis. Pour une styliste, c'est le comble tiens ! Une fois apprêtée, je vais dans la cuisine pour boire un café en savourant une cigarette sur le rebord de la fenêtre. Le regard posé sur la rue en contrebas, je me demande ce que je vais faire. Neuf heures et des brouettes, alors que je ne commence le travail qu’à quatorze heures… Je suis réveillée, et sais que m’endormir ne ferait qu’empirer mon état. Je me décide alors à aller me balader, avant d’aller à l’agence plus tôt que prévu. L’administration ne râlera pas parce que je fais des heures sup’, je pense ! Je récupère une veste, mon sac à mains, mon téléphone… Avant de glisser une large paire de lunettes de soleil sur mon nez, histoire de cacher les mauvaises cernes qui soulignent mon regard.

Je me décide finalement à sortir pour errer le long des rues, au hasard. Ne sachant trop où aller, mes pas sont lents et hésitants, tandis que mon regard se pose un peu n’importe où finalement sur le paysage. Les mains enfoncées dans les poches, je regrette de ne pas avoir pris une écharpe ou un foulard pour protéger mon cou du froid matinal. Néanmoins, je ne bronche pas, et me dis qu’un nouveau café, chaud cette fois, me ferait le plus grand bien. Un petit établissement attire mon attention, et à défaut d’avoir la motivation de trouver quelque chose de mieux, je décide de m’installer à la terrasse de l’endroit susnommé. Je garde mes lunettes sur le nez, me complaisant dans l’idée que je puisse épier n’importe qui sans être aperçue… Mon regard balaye alors les alentours, et je me plais à observer les gens, et à leur imaginer une vie. Non, ma vie n’est pas si vide que ça pour n’avoir que ça à faire… C’est juste que ça m’occupe ! Un serveur vient m’interrompre dans un élan d’imagination, me demandant ce que je désire commander. D’une voix cassée, je demande un café, avant de continuer ma contemplation.

Parmi les rares clients présents, se trouve un jeune homme qui a le mérite d’attiser ma curiosité. Les cheveux blonds, d’une taille visiblement en dessous de la moyenne, vraisemblablement japonais à vue de ses traits… Je l’observe s’asseoir et passer commande à son tour, avant qu’il ne sorte un calepin et un crayon, sur lequel il semble inscrire certaines choses. Son regard ne cesse de se relever en ma direction, frénétiquement. Cette situation me met quelques peu mal à l’aise, aussi je ne peux m’empêcher de jeter un regard interrogateur et un tantinet désapprobateur à l’inconnu… Mais vu la taille de mes lunettes, il ne voit pas cette mine agacée. J’aime pas qu’on me regarde comme ça, de façon intempestive ! C’est pas agréable quoi, j’ai l’impression d’être un animal de foire. Qui plus est, on dirait qu’il est en train de noter des trucs. Je serai paranoïaque, que j’aurais pensée être filée par un agent de la CIA ou un truc du genre… Mais le jeune homme n’a pas vraiment la tête de l’emploi. Lassée, et un tantinet agacée – faut dire aussi que je me suis pas levée du bon pied –, je me lève et avance d’un pas rapide vers le jeune homme pour lui demander, une fois plantée devant la table, d’une voix assez froide ; « Excusez-moi, je peux savoir pourquoi vous me dévisagez comme ça ? » Finalement, mon regard tombe sur ce que je croyais être des notes, et constate un dessin. Rien de bien travaillé pour l’instant, tout juste des esquisses, qui ne sont pas dépourvues de réalisme pour autant. Un peu gênée de ma gaffe et de ma brusquerie, je mène une main à ma bouche et dis ; « Oops, excusez-moi ! Je savais pas que vous étiez en train de dessiner… Vous me paraissiez louche, donc j’pensais que… » Bien joué Nam Hi ! Bon, je ne cache pas longtemps ma maladresse légendaire en général, mais là c’est pire que gênant. Juger quelqu’un comme ça, et dire de but en blanc qu’il a l’air louche… Pour qui je vais passer, sérieux ?! Bref, je rougis certainement et rajoute ; « Bref, désolée. J’vous laisse dessiner en paix ! »

Spoiler:

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Jusqu’à preuve du contraire, je pense pouvoir m’estimer heureuse. Tout aussi louche puisse avoir l’air mon interlocuteur, il ne semble pas énervé outre mesure par mon intervention inopinée… Le pire, c’est qu’il n’a pas l’air si louche que ça ! Même pas du tout en fait. Un style extravagant, des traits exotiques et un charme particulier, certes, mais rien de concret qui ait put vraiment me pousser à le qualifier d’étrange. Je ne suis pas contre a différence, au contraire. Même si je ne suis sûrement pas la plus atypique des femmes que l’on puisse voir, j’ai pourtant la prétention de me dire anticonformiste. Mon style androgyne, et mes envies passables d’être de l’autre sexe en sont les preuves mêmes. Même si je dois admettre que ce second point est bien plus une distraction, qu’un véritable désir… Disons qu’avec les années, j’ai appris à assumer ce que je suis, même si mon apparence ne le laisse pas paraître. Personnellement, je suis bien dans ma peau, et c’est tout ce qui importe. Bref, je suppose que la réponse de mon interlocuteur n’a pas pour projet de me gêner, mais le fait qu’il prononce à son tour le mot « louche » a le don de m’agacer quelques peu. Que serais-je sans ma légendaire susceptibilité ? Je peste intérieurement ; je voulais pas dire les choses comme ça, pas besoin de me le rappeler. M’enfin, je reste tout de même de marbre, mes lèvres s’esquissant en un rictus forcé quand il rit doucement. Je m’efforce alors de répondre, gardant un petit sourire factice ; « Non, vraiment, c’est moi qui suis désolée… Vous devez me prendre pour une hystérique. Puis je vous trouve pas du tout comme ça, hein ! Mais bon, c’est vrai que voir quelqu’un vous fixer, pour ensuite se pencher sur ses papiers, c’est bizarre. Mais vous avez pas l’air louche hein, pas du tout. » Je tente de me rattraper aux branches comme je le peux, sans savoir si ma prestation est vraiment convaincante. En attendant, le jeune homme a l’air d’être assez bon public, et d’un naturel sympathique, ce qui me facilite amplement la tâche de présenter des excuses. Pas que si ça avait été un vieux crouton au regard mauvais, et aux paroles aussi agréables que des clous plantés à vif dans la peau, j’aurais été mal aimable… Mais disons que je ne me serai sûrement pas foulée, voilà !

Je le vois écraser sa cigarette tout juste consumée dans un cendrier, avant qu’il ne souffle de nouveaux des excuses, tout en cachant les esquisses par un amoncellement de feuilles sur lesquelles sont griffonnées maintes choses. Ayant tout juste eu le temps de voir le dessin en question, je me permets d’intervenir ; « Vous inquiétez pas, c’est pas grave. Vous vous seriez barré en courant une fois que je me suis levée, là je me serai posée des questions ! » Je laisse un petit rire s’échapper, histoire de détendre un peu l’atmosphère. Désignant alors le tas de feuilles, je me fais curieuse et demande ; « Je peux jeter un coup d’œil à vos dessins du coup ? Ça m’intrigue ! » Je n’avais certes pas vu grand-chose, mais… Le jeune homme avait l’air de bien se débrouiller ! Mais bon, qui suis-je pour juger ? Je suis une véritable quiche en matière de dessin, et ce même si mon travail exige certaines connaissances dans le domaine. Alors certes, si je peux me débrouiller pour esquisser une tenue, afin d’avoir des idées, je suis bien plus douée quand le temps est venu d’utiliser une machine à coudre ou des aiguilles. Chose difficile à croire quand on connaît ma maladresse naturelle… Mais je suis fière de mon boulot et de mes créations ! Bref, tout ça pour dire que je suis incapable de faire un portrait ou un paysage. Si je n’étais pas obligée de dessiner des silhouettes pour mon emploi, mes connaissances en dessin se limiteraient sans nul doute au stade des bonhommes bâtons… Triste vie. Et puis bon, au-delà de ma curiosité pour le niveau en dessin de mon interlocuteur, je suis d’autant plus curieuse parce que... Je suis sur le dessin, dis donc ! C’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de voir un portrait de soi-même, surtout fait par un illustre inconnu dans la rue. N’allez pas croire que je suis narcissique ; c’est pour moi une curiosité tout à fait légitime.