« Li Mei ! Madame Feng veut te voir. » Mon Nom ? Li Mei. Chang Li Mei. Je suis née une nuit enneigée de janvier, et en me donnant la vie, ma mère a perdu la sienne. Je n'ai donc jamais pu la voir. J'ai uniquement grandi avec mon père, mon grand-frère, âgée de quatre ans de plus que moi, et mon grand-père. En somme, dans une famille constituée essentiellement d'hommes. Enfin, grandi... Je n'y ai pas vraiment grandi. A l'âge de six ans, j'ai du partir en internat. La Beijing Dance Academy... Qui refuserait d'y aller ? Qui refuserait d'y voir son enfant ? Si au départ mon père fut très réticent à l'idée de me voir partir loin de la maison, il finit pourtant par céder face à mon professeur de danse. Uniquement parce que... Ma mère, alors que je n'étais encore qu'un petit bébé dans son ventre, redoublait d'imagination et d'idées me concernant. De la danse classique, elle répétait encore et encore que je ferais de la danse classique, et que je serais sûrement aussi gracieuse qu'un cygne. Que je porterais de mignonnes petites tenues – elle en avait même tricoté quelques unes pour moi -, et que je me hisserais sur mes pointes devant des milliers et des milliers de spectateurs. Évidemment, pour exaucer les souhaits de ma chère mère, mon père m'inscrivit dans les cours du village. Il n'y avait qu'un seul professeur de danse. Et elle enseignait la danse classique comme la danse contemporaine et comme d'autres danses traditionnelles chinoises, et des instruments. Etant une amie de ma mère, elle ne demanda rien en échange de ses bons et loyaux services. Juste que je sois attentive en cours. Et que je m'intéresse un minimum à la discipline. C'est ainsi que débutèrent mes cours de danse classique et de guzheng, un instrument traditionnel chinois. Mais je ne fus son élève que pour une année.

A l'âge de six ans, une amie de mon professeur vint lui rendre visite, et assister à ses cours. Le lendemain, mon père se vit proposer un dossier d'inscription, tous frais payés. On me proposait d'intégrer la Beijing Dance Academy, en tant qu'élève interne, section danse classique. Elle avait remarqué un certain potentiel chez moi, qu'elle lui avait dit. Mon corps, ma posture... D'après elle, tout me destinait à être une future championne, à être une danseuse étoile. Il ne suffirait que d'une signature et d'un peu d'entraînement. Evidemment, mon père eut du mal à laisser partir sa seule et unique fille loin de lui. Mais d'un autre côté... Ma mère voulait tant me voir danser. Et puis, il s'était dit que, peut-être mon don si apparent pour la danse aux yeux de ces professionnels n'était autre qu'un cadeau de ma défunte mère ?

C'est ainsi que je fus donc arrachée à ma famille. Oh, vous savez, à six ans... C'est plutôt difficile de tout laisser derrière soi et de partir en internat. Je n'allais pouvoir les voir que les weekends, et les vacances. Et encore, ils n'avaient d'autres choix que de venir jusqu'à Beijing pour me rendre visite étant donné que j'étais trop jeune, donc de faire des kilomètres et des kilomètres de route toutes les semaines. Ce qui n'a rien d'aisé, mais ils le firent pourtant. Parce que j'étais la seule fille. Et puis parce que, ils ne pouvaient s'empêcher de s'en vouloir. Ils s'en voulaient. Mon père surtout, et mon grand-père. Ils avaient l'impression... De m'avoir abandonnée. Alors que ce n'était pas forcément le cas.

Et si j'eus du mal à m'adapter au départ, au bout de quelques mois je finis par m'habituer au rythme. Un entraînement intensif. Plus qu'intensif même. Auquel j'eus droit... J'eus droit jusqu'à ma blessure, qui marqua la fin de ma carrière. « Li Mei ! Le maintient. Tu ne te tiens pas droite. Recommence. » Recommencer, recommencer, recommencer encore. Il fallait que le tout soit parfait. Pas presque parfait. Pas passable. Parfait. J'eus d'ailleurs un seul professeur durant toute ma « scolarité ». En fait, j'eus tout simplement droit à un programme bien spécial. Certains élèves étaient choisis. Et ces élèves-là avaient un entraînement légèrement différent de celui des autres. Certains étaient destinés à devenir de bons danseurs, mais d'autres étaient entraînés en vu de devenir des danseurs étoiles, de représenter la Chine dans de nombreuses compétitions, et d'être les meilleurs. J'avais été choisi pour faire partie de la seconde catégorie. Pour être un « espoir chinois », pour représenter mon pays à l'étranger. Donc, il ne me fallait pas changer de professeur. Un seul, qui me connaisse de A à Z, qui ait conscience de mes faiblesses tout comme de mes points forts, c'était bien plus avantageux et efficace.

Je travaillais tous les jours. Je jonglais entre les cours standards, c'est-à-dire les maths, les sciences, les langues... Et la danse. Même le samedi, je devais m'entraîner. Toujours, tout le temps. On me surveillait, constamment. J'étais pesée toute la semaine, mesurée. Je ne devais pas prendre un gramme. Mon hygiène de vie se devait d'être irréprochable. Et le plus de premiers rôles j'obtenais, le plus je devais m'entraîner. Un petit ami ? Des sorties ? Ce n'était pas pour moi, je ne pouvais pas. Tout m'était interdit. Rien ne devait passer avant la danse. Et il fallait m'éloigner autant que possible des autres... Histoire qu'on ne me détourne pas du droit chemin. … Enfin, je ne pouvais pas … D'après eux. Aha. Parce que vous pensez sérieusement que j'allais rester sans copain ni amis ? Sans sortir ? Je ne suis pas si associable. J'en ai enchaîné, des petits amis. Tous les uns plus beaux que les autres. Le plus drôle dans tout ça ? C'est que mon professeur était au courant. Mais qu'elle ne disait rien. Elle avait appris à me connaître. Et elle savait très bien qu'une simple relation, qu'une petite amourette n'allait pas me pousser à délaisser la danse. En tout cas, je peux vous dire que la danse classique forge un corps de rêve, qui plaît beaucoup. J'avais toujours les gars les plus mignons. Et forcément, les autres garces étaient jalouses.

Des garces, des garces... Il y en avait beaucoup. C'était une véritable guerre. Entre professeurs, et entre élèves. Les professeurs voulaient constamment que leurs élèves obtiennent les premiers rôles, qu'ils remportent les compétitions. Les élèves, quant à eux, voulaient être meilleurs que les autres... Bref. Être douée dans le domaine m'attirait forcément beaucoup de jalousie. Je me souviens encore qu'une fois, une bip de chez bip avait mis des billes dans les escaliers. Pour que je glisse, et que je me blesse. Heureusement, même si ce fut le cas, je m'en sortis haut la main. Une blessure superficielle, rien de plus, rien de moins, qui ne prit qu'une semaine à guérir. Je pus donc tenir mon rôle, comme si de rien n'était.

Par contre, pour ma seconde blessure... Les choses ne se déroulèrent pas de la même manière. Encore de la jalousie. Encore les escaliers. Mais ma chute fut fatale. Au départ, je pensais que ce n'était rien de grave. Mais en fait, j'avais deux faisceaux des ligaments de la cheville rompus. Et même avec une opération chirurgicale, on ne put rien faire pour moi. La danse m'était définitivement interdite. Interdite. Mon père, mon grand-père, mon grand-frère, ils étaient tous autour de moi à l'hôpital. Et si au départ j'avais un comportement insouciant, pensant que dans quelques mois au plus tard je porterais mes pointes de nouveau... Mon expression changea du tout au tout lorsqu'on m'annonça la nouvelle. « … N-Non. C'est pas possible. Vous... Vous plaisantez ? Vous vous moquez de moi ? Est-ce que vous savez depuis combien de temps je danse ? Depuis l'âge de six ans. ALORS C'EST PAS UN PETIT MERDEUX COMME VOUS QUI VA ME DIRE QUE JE VAIS ARRÊTER LA DANSE, D'ACCORD ? C'est... C'est ma vie ! Je sais faire que ça ! … Non non, ça ne peut pas être possible. Ca ne peut vraiment pas être possible.  » Et s'en suivit alors des sanglots. Puis une crise d'angoisse. Des cris, alors que je me bouchais les oreilles, refusant de les écouter plus longtemps. Puis je me mis à tout casser. On tentait tant bien que mal de m'immobiliser, mais on aurait dit que... Que je n'en avais strictement plus rien à faire de ce qui pouvait m'arriver désormais ou de ce qui pouvait m'entourer. Je ne pouvais plus danser, ma vie était fichue. Et pour la première fois, je me sentis... Incapable. Bonne à rien. Je n'avais fait que danser. Rien d'autre. Qu'étais-je au juste, sans la danse ?

La vengeance est un plat qui se venge chaud, avec moi. Parce que froid... Je n'ai pas la patience. Cette salope. C'était la même salope. Elle avait recommencé. … Et je l'ai faite renvoyée de l'école. Je n'allais plus danser, elle ne danserait pas non plus. « Espèce de petite garce... » Je m'étais jetée sur elle et je lui avais arrachée les cheveux. Je l'avais griffée. Mordue. Frappée. Mon ancien professeur m'avait discrètement laissé faire, elle ne m'avait arrêtée que lorsque l'autre pourriture commençait à perdre connaissance. Elle avait fichu ma vie en l'air. Je voulais en faire pareil avec la sienne. Honnêtement, je pense que j'aurais été capable de la tuer sur le moment. J'avais pensé à me tuer. Alors pourquoi pas elle ? Oui, l'espace d'un instant, j'avais pensé au suicide. La danse était toute ma vie. Sans la danse, ma vie n'avait plus aucun sens. Du moins, c'est ce que j'avais pensé au départ. Et il se trouve que... Non. Ma carrière brillante de ballerine semblait intéresser bien du monde. Mon école me proposa de devenir professeur, mais... J'ai préféré refuser. Ne pas pouvoir danser, et en voir d'autres le faire... Je savais que je n'en aurais pas la force. On me proposa aussi un poste de présentatrice télé, chose qui n'a totalement rien à voir avec le domaine auquel j'appartenais... Et puis en dernier lieu, ce fut manager. Un ami coréen me dit qu'une grande agence recrutait en Corée, et qu'avec mon CV, je serais immédiatement acceptée. Puis avec ma « réputation » aussi. Oh, parce que j'ai une petite réputation. Je suis un cygne sur les planches. Mais un cygne noir. Je suis connue pour mon fort tempérament. Et aussi mon professionnalisme. … Et mon sadisme, ainsi que mon côté tyran. Mais, ce ne sont que des détails voyons, des détails.

Vivre en Corée... Oui, j'avais besoin de changer d'air. Mon ami m'accueillit au départ, et je passai donc mon entretient d'embauche. Le premier de toute ma vie. Mais je n'étais pas stressée pour autant. Après des années et des années à être jugée, j'avais perdu la notion du stress, vous savez. Et comme ce dernier me l'avait dit, je fus acceptée sans difficulté. Au départ, j'eus à m'occuper d'acteurs, de chanteurs ou chanteuses solo, de mannequins... Mais, cela ne dura pas bien longtemps puisqu'on me retira tous mes protégés pour m'en offrir de nouveau. Un groupe. Les Dazzlin'B. De jolis garçons, dans la fleur de l'âge, qui sont forcément destinés à devenir des superstars puisqu'ils sont coachés par moi. Ah bah, m'avoir comme manager, c'est une chance, vous savez ? Je compte bien les entraîner avec un programme aussi efficace que celui auquel j'ai eu droit. Ils passeront sur la balance tous les mois. Et un kilo correspondra à une heure d'entraînement de plus tous les soirs pendant une semaine. Ah bah, faut qu'ils gardent la ligne. Faut qu'ils soient mignons, mais classes, et en même temps virils, puis talentueux, bref... Parfaits. Depuis le temps, je sais ce que l'on attend des artistes de nos jours. Et je compte bien faire d'eux des superstars. … Puis, si je me soucie autant de leur hygiène de vie, de leurs fréquentations... J'avoue que c'est aussi un peu parce que... Je n'ai pas envie qu'il leur arrive la même chose que moi. L'homme est mauvais. Il faut s'en méfier. Je ne me suis pas méfiée, et j'ai tout perdu. S'ils n'ont pas encore reçu cette leçon, moi je l'ai reçue, bien retenue, et je compte bien leur en faire profiter.